"Cette théorie n'est pas basée sur des faits scientifiques ou des recherches. Il ne s'agit que de conjectures" : Martin Williams, ornithologue à Hong Kong, est à la pointe du combat contre une théorie couramment évoquée pour expliquer l'avancée de l'épizootie. La grippe aviaire, apparue en 2003 en Asie du Sud-Est, a récemment fait son apparition en Sibérie, suscitant des craintes qu'elle puisse se répandre en Europe. Les Pays-Bas, l'Allemagne et la France notamment ont pris des mesures de précaution. La maladie est jusqu'à présent essentiellement animale et a provoqué la mort de centaines de millions de poulets et canards. Plus de soixante personnes sont cependant mortes en Asie du Sud-Est. Ces contaminations sont imputées à des contacts avec des volailles infectées mais les scientifiques redoutent une mutation du virus H5N1 qui le rendrait transmissible d'homme à homme et déclencherait une épidémie.
La peur d'une pandémie ne doit pas faire perdre leur sang froid aux autorités, avertit cependant M. Williams. Le spécialiste craint l'impact sur le public d'une "diabolisation" des oiseaux sauvages, qui ruinerait les efforts faits pour préserver ces animaux et leurs lieux de rassemblement. Son collège sud-coréen Nial Moores met également en garde contre le risque d'un massacre. "Cela pourrait conduire les autorités à abattre par erreur des millions d'oiseaux sauvages inutilement", lance le président de "Birds Korea". Les scientifiques ne s'accordent pas sur les vecteurs de la grippe aviaire mais la plupart ont souligné, sans certitude, que les oiseaux sauvages pourraient transmettre le virus aux volailles lors de leurs migrations. M. Williams assure que cette théorie est réfutée par le simple fait que "la propagation en Asie du H5N1 ne correspond pas aux itinéraires empruntés ni aux périodes migratoires". "L'époque et la répartition des foyers ... ne correspond à aucun modèle d'aucune espèce", renchérissent Kevin Shortridge, professeur de biologie à l'Université de Hong Kong, et l'ornithologue néo-zélandais David Melville dans un article publié en mai 2004 dans la revue médicale The Lancet.
Les deux experts accusent plutôt la circulation sans entrave des volailles domestiques, voire le commerce illégal des coqs de combat. Le chercheur Dennis Alexander, dans un récent article paru dans le journal international Veterinary Microbiology, abonde dans ce sens, ajoutant que, certes, les oiseaux sauvages peuvent transmettre plusieurs souches de grippes mais que ce sont les transports de volailles qui les propagent.