"Je pense qu'il est temps qu'on arrête de se chamailler et de s'envoyer des coups", déclare Richard Steltzner, un vigneron de Napa Valley, en Californie. "Je pense que c'est un processus sain", dit-il. Selon les termes de l'accord, paraphé mercredi à Washington après 20 ans de négociations à éclipses, "les Etats-Unis et l'Union européenne reconnaissent explicitement leurs dénominations de vin respectives comme des +dénominations d'origine+". "Ce qui compte, de part et d'autre, c'est de se développer et de faire ce qui est juste, c'est à dire traiter les pratiques et les sites de l'autre avec le même respect que l'on attend pour soi même", a déclaré Harry Peterson-Nedry du vignoble Chehalem en Oregon (nord-ouest). "C'est la règle d'or", a-t-il dit.
Cependant, alors que la nouvelle de l'accord se répandait dans les vignobles de la côte ouest des Etats-Unis, en Californie, Oregon et dans l'Etat de Washington, les producteurs se demandaient si l'entente ne comporterait pas quelques pièges. Le texte, qui doit encore être validé par les membres de l'UE, prévoit de limiter l'utilisation aux Etats-Unis de 17 appellations comme le Bourgogne, le Champagne, le Chablis ou le Chianti. En contrepartie, les Américains seront autorisés à utiliser, sous certaines conditions et pour une période limitée, 14 "expressions traditionnelles" européennes comme "château", "clos", "sur lie" ou "vintage". Et l'UE acceptera des produits passés par des pratiques vitivinicoles américaines qu'elle n'acceptait pas jusqu'ici.
Les négociants en vin adaptent leurs techniques en fonction du climat et du terrain, et les changements des méthodes européennes doivent être acceptées comme une évolution dictée par la nature, a estimé Richard Steltzner. "Nous avons le soleil, ils ne l'ont pas", a-t-il ajouté, en comparant la Californie et la France. "Chacun a ses méthodes avec son propre terroir. Mais chacun poursuit le même but, faire le meilleur vin possible". Selon ce négociant californien, les températures élevées dans cet Etat de l'ouest américain rendent le raisin plus sucré, conduisant les vignerons à ajouter de l'eau avant la fermentation, pour réduire son aspect doucereux, ce qui fait grimper le taux d'alcool.
La loi française autorise des méthodes de chaptalisation (ajout de sucre) en cas de météo trop froide mais les niveaux autorisés sont trop bas pour atteindre les taux d'alcool désirés, commente encore M. Steltzner. En outre, l'ajout de copeaux de chêne pendant la fermentation du vin en containers d'acier est un moyen bon marché de leur donner de la complexité, sans avoir recours aux fûts de chêne, beaucoup plus onéreux. Cette pratique, en principe interdite en France, est répandue dans l'hémisphère sud, surtout en Australie où il y a une pénurie de chênes. "Cela ne veut pas dire que les vins les plus onéreux utilisent des copeaux de bois, mais certains des plus compétitifs oui", affirme M. Steltzner. "Cela donne un merveilleux résultat et cela casse les prix". Mais les négociants s'accordent à dire que la fermentation dans des petits fûts en bois est la clé du succès. Les vignobles Kendall Jackson, en Californie, s'interdisent le recours aux copeaux de bois et vont chercher des planches de chêne en France (pour en faire des fûts), déclare Randy Ullon, directeur de la fabrication chez Kendall Jackson. "L'accord semble plus favorable aux Européens", estime-t-il. "Ils ont gagné cette partie, s'il y avait une partie à gagner".