"C'est une nécessité vitale de parvenir à une décision" cette semaine, avait affirmé vendredi la commissaire européenne à l'Agriculture Mariann Fischer Boel, en invitant les ministres "à se montrer courageux". Condamné à l'OMC sur plainte du Brésil, de la Thaïlande et de l'Australie, le régime sucrier de l'UE expire fin juin 2006. La Commission affirme que tout retard dans la mise en oeuvre de changements maîtrisés conduirait à une catastrophe. Sans réforme, "il n'y aura plus de régime sucrier et donc plus d'industrie sucrière survivant en Europe d'ici quelques années", affirme Michael Mann, porte-parole de Mme Fischer Boel. Les principaux éléments soumis aux ministres des 25 incluent une baisse de 39% entre 2006 et 2008 du prix garanti du sucre, aujourd'hui trois fois supérieur aux cours mondiaux, une réduction substantielle de la production européenne et une baisse des exportations.
Ces changements, dans la ligne de la grande réforme de la Politique agricole commune (PAC) adoptée en 2003, auront pour effet de faire pratiquement sortir du marché les industries nationales les moins performantes. Ils se heurtent par conséquent à la résistance farouche des pays concernés, Espagne et Grèce en tête, avec l'Italie, l'Irlande et Portugal en rideau défensif. Par contre, la France, dont les betteraviers et les sucriers tireraient mieux leur épingle du jeu, appuie la Commission. "C'est la première fois que la France est en faveur d'une grande réforme alors que les précédentes étaient déjà dans l'intérêt objectif des Français", relève ironiquement un responsable communautaire.
Pour amadouer les opposants, la Commission européenne a prévu de consacrer des sommes énormes à la restructuration industrielle et à la compensation des baisses de revenu des producteurs, aujourd'hui parmi les mieux dotés en subventions de la PAC: quelque 5,7 milliards d'euros en 2006. "Nous lancerons la discussion mardi avec un nouveau compromis préparé par la présidence (britannique de l'UE) sur la base de notre proposition", a expliqué Michael Mann. "La clef pour nous est d'assurer que la philosophie générale de la réforme demeure intacte. Nous sommes évidemment prêts à faire des amendements si cela permet à certains de monter dans le train, mais nous ne voulons pas toucher au coeur de la proposition", a-t-il ajouté.
Le responsable communautaire donne deux chances sur trois à un accord avant la fin de la semaine, sachant que la pression est telle que ces changements sont de toute façon inévitables. Vis à vis du reste du monde, précise-t-il, un accord "donnerait le signal que nous continuons à réformer". "Ce serait bon avant Hong Kong", où se tiendra du 13 au 18 décembre la conférence ministérielle de l'OMC. Ce marathon sucrier, qui pourrait durer jusqu'à vendredi avec nuits blanches à la clef, sera surveillé avec anxiété par tous les groupes d'intérêt concernés. Outre les producteurs communautaires, qui voient venir la fin d'un régime immuable depuis 40 ans, il y a ceux des pays ACP (Afrique, Caraibe, Pacifique), qui vont perdre 60% d'une rente annuelle de 600 millions d'euros garantie par leur accès préférentiel au marché de l'UE. Ils demandent que l'UE y aille moins fort et moins vite.