Entre deux aller-retour dans les sillons d'ignames et une brève conversation avec Aminata, la troisième de ses quatre épouses, Gafary Maya, 41 ans, le torse musclé dégoulinant de sueur sous un chaud soleil, explique sa descente aux enfers. "A la fin de la saison dernière, j'ai livré 80 tonnes de coton et je n'ai perçu à ce jour que 3 millions de CFA (4.615 euros) au lieu de 16 millions (24.615 euros)", se plaint-il. "Pour avoir vendu mon coton à crédit, trois de mes enfants sont morts de faim entre juillet et août dernier. Le médecin du village n'a rien pu faire pour les sauver. Je ne veux pas continuer à voir mes enfants mourir. C'est une malédiction que d'enterrer ses enfants", soupire Gafary, larmes aux yeux.
Comme nombre de producteurs de coton du nord Bénin, Gafary ne veut pas entendre parler de la nouvelle saison qui s'approche, d'autant que le prix minimum garanti fixé par l'Etat est en baisse. Cette année, il n'a mis en culture que cinq hectares de coton, alors qu'il en cultivait en moyenne 50 hectares depuis le début des années 1990. Le reste de ses terres, il préfère aujourd'hui les ensemencer en produits vivriers, directement rémunérateurs... et comestibles. Au cours de la dernière campagne, le gouvernement béninois avait maintenu le prix du coton premier choix à 200 CFA (0,30 euros) le kilo, grâce à une subvention de 43 CFA par kg. Cette année, les autorités ont déjà annoncé un prix minimum garanti en baisse à 185 CFA.
Pour Gafary et ses collègues, la période où l'or blanc enrichissait est bien loin. Aujourd'hui le coton, pourtant une des plus importantes ressources à l'exportation du Bénin, est pour eux facteur d'appauvrissement, principalement en raison du désordre qui règne dans la filière. Dans la grande cour des Maya à Djougou, une dizaine de gamins, cheveux décolorés et peau desséchée, observent le regard triste l'arrivée de leur père, Sidiki Maya, qui a eu 16 enfants. "Je fais le coton depuis 1990, aujourd'hui je ne peux plus continuer à enrichir les gens qui viennent de la capitale prendre notre coton et le vendre pour après ne pas nous payer. Je préfère nourrir mes enfants en cultivant le maïs et l'arachide. Le coton m'a tué!," s'exclame le sexagénaire.
Alors qu'elle a été l'une des meilleures de ces dernières années, avec 428.000 tonnes, la campagne 2004-2005 laisse un goût amer aux 325.000 producteurs béninois qui attendent toujours que l'Etat leur paie 9,2 milliards de CFA (14 millions d'euro) au titre des subventions du réajustement du prix au kg. A cela s'ajoute la malhonnêteté de certains égraineurs privés, qui refusent également de payer les producteurs sans que l'Etat ne les sanctionne. Un désordre qui, ajouté à la mévente du coton africain concurrencé par la production subventionné de certains pays riches, a achevé de plomber l'avenir des producteurs béninois.