Montré du doigt par les Européens comme le responsable du blocage des négociations commerciales multilatérales, le Brésil refuse d'apparaître comme l'empêcheur de tourner en rond lors de la conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) du 13 au 18 décembre. En signe de bonne volonté, Brasilia s'est déclaré prêt samedi à soumettre une nouvelle proposition de baisse de ses tarifs douaniers industriels, dont le niveau "dépendra des efforts que feront l'Union européenne et les Etats-Unis en matière agricole". Pour le Brésil, chef de file du G-20 qui rassemble 21 pays émergents comme l'Inde et la Chine, l'agriculture doit demeurer la "locomotive" du cycle de Doha.
Brasilia juge clairement insuffisante l'offre européenne de réduction de ses tarifs douaniers agricoles. Selon un négociateur brésilien, une réduction de 39% des tarifs européens aboutirait à ouvrir seulement un marché de 3 milliards de dollars par an, tout en maintenant des restrictions sur des produits sensibles comme la viande bovine, ou le poulet, dans lesquels le Brésil excelle. En outre, "pour obtenir une petite croissance (des exportations agricoles) on nous demande beaucoup sur l'industrie et les services, c'est totalement déséquilibré", estime ce négociateur.
Le ministre brésilien des Affaires étrangères Celso Amorim avait évoqué début novembre une baisse de 50% des tarifs douaniers sur les produits industriels, une offre boudée par les Européens. "C'est une avancée très importante, bien supérieure aux 39% offerts par l'UE en matière agricole", souligne pourtant Rubens Barbosa, président du conseil supérieur du commerce extérieur de la Fédération des industriels de Sao Paulo (FIESP). "Il est impossible de faire plus d'efforts sans des concessions significatives de l'Union européenne et des Etats-Unis sur la question des subventions intérieures" à l'agriculture, estime M. Barbosa, soulignant que des secteurs sensibles comme l'automobile, la chimie ou l'électroménager qui vont être "exposés à la concurrence".
Dans son bras de fer avec l'Union européenne, le Brésil a passé une alliance tactique avec les Etats-Unis, en dépit de concessions de Washington en matière de subventions agricoles jugées insuffisantes. Pour M. Amorim, cette tactique s'assimile au judo: "le judoka doit utiliser la force de l'un contre l'autre, parce que tous les deux (UE et USA) sont difficiles à faire plier", a-t-il expliqué. Afin de faire avaler une limitation des aides à ses agriculteurs, Washington doit obtenir une amélioration de l'accès au marché européen, explique-t-on côté brésilien. D'où la pression commune exercée sur l'UE.
Premier exportateur mondial de soja, de café, de jus d'orange, de sucre ou de viande bovine, le Brésil tirerait des bénéfices substantiels de la libéralisation du commerce agricole. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une réduction de 50% des subventions à l'exportation, des tarifs douaniers et des soutiens à l'agriculture dans les pays de l'OCDE apporterait des revenus supplémentaires de 1,7 milliard de dollars au Brésil, soit l'équivalent de 0,3% du PIB. Le chef de la diplomatie brésilienne privilégie la sphère multilatérale de l'OMC pour éliminer les distorsions au commerce agricole plutôt que les enceintes de négociation régionale avec l'Union européenne ou les Etats-Unis. "L'OMC est la négociation globale la plus importante pour le Brésil", qui aspire à consolider son rôle mondial, a réaffirmé récemment M. Amorim.