La nouvelle PAC: Une réforme opaque

La réforme de la Politique Agricole Commune a été instituée par le Règlement du Conseil de l’Union Européenne du 29 septembre 2003.

Indépendamment de ses objectifs budgétaires avoués, cette nouvelle réforme de la Politique Agricole Commune va bouleverser profondément le paysage de l’entreprise agricole et de ses partenaires traditionnels.

Il en est ainsi de l’exploitant agricole, chef d’entreprise, qui devra nécessairement adapter sa stratégie et les orientations de son entreprise face à la nouvelle donne budgétaire européenne. (II)

Il en est également ainsi du propriétaire bailleur qui pourrait bien, lui aussi, modifier ses options traditionnelles d’orientation patrimoniale et locative. (III)

Mais encore faut-il que l’un comme l’autre puissent décrypter une réglementation complexe et imprécise qui plonge aujourd’hui ces acteurs incontournables du monde rural dans une totale insécurité juridique. (I)

I – UNE INSECURITE JURIDIQUE INSUPPORTABLE

Les principes généraux de la réforme de la Politique Agricole Commune découlent essentiellement du Règlement N° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 et du Règlement N° 795/2004 de la Commission du 21 avril 2004.

Chacun sait que le principe nouveau, essentiel, apporté par la réforme est l’instauration d’un découplage des aides perçues par les exploitants agricoles et la création d’un Droit au Paiement Unique (DPU) bénéficiant aux exploitants agricoles, déconnecté de l’acte de production lui-même.

Ainsi, alors que les textes européens n’ont été connus qu’à la fin du mois de septembre 2003, la réforme a vocation à s’appliquer rétroactivement à compter du 1er janvier 2000.

Les choses se compliquent d’autant plus qu’à l’heure actuelle, les textes européens n’ont fait l’objet d’aucune transposition, d’aucun texte d’application officiels en droit français.

Bref, en l’absence d’un droit positif établi, l’ensemble des partenaires du monde agricole est aujourd’hui plongé dans une insécurité juridique totale et parfaitement insupportable.

Le droit est aujourd’hui en retard sur l’économie et les errements des uns et des autres sont actuellement légion lorsqu’il s’agit de traiter concrètement de ces questions.

Il en ainsi, par exemple, des mutations d’exploitation totales ou partielles qui sont intervenues entre le 1er janvier 2000 et le 29 septembre 2003, à une époque où il n’était nullement question de Droit à Paiement Unique et encore moins de leur transfert éventuel de l’exploitant sortant à l’exploitant entrant.

Ainsi, en est-il également de l’évaluation des Droits à Prime Unique dont les textes européens nous indiquent qu’ils constituent des droits marchands et que les parties sont bien en peine de cerner tout à la fois sur un plan juridique, fiscal, économique et financier.

C’est dans ce contexte pour le moins opaque et incertain que l’exploitant agricole doit tenter de définir pour l’avenir la stratégie de son entreprise.

La tâche n’est pas aisée.

II – LA REFORME DE LA PAC INDUIT DES CHANGEMENTS DANS LE COMPORTEMENT DE L’EXPLOITANT AGRICOLE


1°/ Sur le plan économique :

L’approche traditionnelle de l’économie prévisionnelle de l’entreprise agricole dont les ressources sont essentiellement constituées d’une part des subventions perçues au titre de la Politique Agricole Commune et d’autre part du produit de la vente des productions, se trouve aujourd’hui totalement bouleversée.

Le découplage qui permet désormais à l’exploitant de percevoir aujourd’hui tout ou partie d’une aide étatique indépendamment du fait qu’il produise ou non, doit nécessairement le conduire à remettre en cause son analyse et à intégrer cette nouvelle donne dans la définition d’une stratégie pour son entreprise.

Bien entendu, dans des régions agricoles à forte potentialité, il est peu probable que les systèmes de production soient remis en cause en fonction de la nouvelle PAC.

Celle-ci se traduira, pour cette agriculture « riche » uniquement par une baisse des subventions perçues et par une intensification visant à un développement horizontal ou vertical de l’entreprise.

Par contre, la question paraît bien posée pour l’agriculture moins productive qui, désormais, peut envisager de revoir totalement son système de production, en intégrant le fait que, dorénavant, elle percevra chaque année un volant de subvention prédéfini sans avoir l’obligation de produire et que, dès lors, elle peut diversifier son activité en la réorientant vers d’autres secteurs comme, par exemple, le tourisme rural.

La réforme de la PAC entraînera donc nécessairement, au fur et à mesure de sa mise en application, une modification des comportements d’entreprise.

2°/ Sur le plan patrimonial

L’apport essentiel de la réforme est, non seulement, la création d’un Droit à Paiement Unique (DPU) bénéficiant à l’exploitant, mais également le fait de la patrimonialité de ces Droits à Paiement Unique.

En effet, les DPU constituent désormais un élément de l’actif incorporel mobilier de l’entreprise agricole qui appartient à l’exploitant.

C’est une véritable révolution qui s’induit de la réforme de la PAC qui va entraîner, d’ores et déjà, un changement radical dans les rapports de force et les équilibres constitués.

La conséquence la plus visible de cette révolution apparaît au grand jour à l’occasion des cessions d’entreprises.

La valeur de l’exploitation agricole doit aujourd’hui intégrer celle des Droits à Paiement Unique dont dépend, désormais, en grande partie la rentabilité de l’entreprise.

La cession d’une entreprise agricole portera non plus seulement sur les éléments mobiliers ou immobiliers qui la composent traditionnellement tels les bâtiments d’exploitation, les installations diverses, le matériel et les stocks ; elle portera également sur les Droits à Paiement Unique qui constitueront, sans nul doute, un élément d’actif incorporel particulièrement important dès lors qu’il assoit, en grande partie, la rentabilité de l’entreprise cédée.

Le comportement de l’exploitant va également changer dans d’autre hypothèse que la cession amiable d’une exploitation.

Il en est ainsi, par exemple, dans l’appréciation des comptes de sortie de ferme pouvant être établis à l’occasion de la reprise en fin de bail de l’exploitation par le propriétaire bailleur.

Dans une telle hypothèse, le bailleur a délivré congé pour reprendre les biens loués en fin de bail en vue de les exploiter par lui-même, son conjoint ou un descendant.

Jusqu’ici, les rapports avec l’exploitant « défermé » conduisaient les parties à définir les améliorations qui avaient pu être éventuellement apportées au fonds par le fermier sortant du fait de sa bonne exploitation et à convenir de leur indemnisation.

Aujourd’hui, la reprise de l’exploitation par le bailleur laissera à l’exploitant sortant la pleine et entière propriété des Droits à Paiement Unique qui lui auront été attribués dans le cadre de la réforme de la PAC.

Bien sûr, le bénéficiaire de la reprise pourra toujours solliciter de la Réserve Nationale l’attribution de nouveaux Droits à Prime.

Toutefois, la prudence et la peur de l’inconnu conduiront le plus souvent le bailleur et/ou le bénéficiaire de la reprise, à négocier avec son fermier sortant la reprise des DPU en sus des indemnités couvrant les améliorations au preneur sortant.

Ces nouveaux comportements qui sont aujourd’hui dans le flou des textes embryonnaires ne manqueront pas de se développer avec la mise en œuvre de la réforme.

3°/ Vers la reconnaissance de la cessibilité du bail

Traditionnellement et historiquement, le bail rural, par exception au droit commun, est incessible.

Le caractère intuitu personae, la non patrimonialité et l’incessibilité du bail sont les piliers fondamentaux du statut du fermage qui, malgré toutes les tentatives, sont toujours solidement ancrés dans notre droit rural français depuis 1945.

La réforme de la Politique Agricole Commune qui crée incontestablement une valeur incorporelle attachée à l’entreprise agricole, permet indirectement la valorisation du bail rural.

Une telle réforme ne peut qu’annoncer une remise en cause de la cessibilité du bail rural.

Les prémices de cette réforme fondamentale du statut du fermage existent déjà dans le projet de Loi d’orientation agricole qui devrait être débattu prochainement au Parlement. (article 2 du projet de Loi)

A n’en pas douter, la réforme de la Politique Agricole Commune devrait entraîner des bouleversements très profonds de la législation nationale sur les baux ruraux.

Le projet de Loi d’orientation agricole ne prévoit-il pas d’ailleurs que le Gouvernement serait autorisé à procéder par voie d’Ordonnance pour modifier les dispositions du Code Rural relatives au statut du fermage en vue de simplifier, moderniser, adapter bon nombre de règles régissant actuellement le renouvellement et la résiliation des baux et les autorisations d’exploiter ? (article 3 du projet de Loi)

Les modifications induites par la réforme de la PAC affectent également le comportement des propriétaires bailleurs.

III – DES PROPRIETAIRES BAILLEURS INQUIETS ET ATTENTIFS

1°/ Une inquiétude légitime ?

La réforme de la PAC ne manque pas de provoquer des réactions au sein des propriétaires bailleurs ruraux.

La valeur du patrimoine foncier agricole a toujours été affecté par l’existence d’un bail grevant le fonds.

La jurisprudence a, à plusieurs reprises, consacré ce principe et les Experts Agricoles et Fonciers savent évaluer différemment un foncier libre de location et un foncier grevé d’un bail.

La « décote » est plus ou moins importante selon la durée du bail à courir et peut aller jusqu’à 30 % de la valeur du foncier lorsque l’on est en présence de baux ruraux de longue durée.

A l’inverse, lorsque le foncier se trouve libéré, soit parce que le fermier cesse son activité de façon volontaire, soit qu’il y est contraint dans le cadre d’une procédure de reprise ou de résiliation de bail, le propriétaire, retrouvant la plénitude de la jouissance de son bien, peut réaliser une plus value importante, par exemple à l’occasion de la revente de ce patrimoine.

Dès lors que les Droits à Paiement Unique restent appartenir à l’exploitant sortant, et ce alors même que le rapport locatif a cessé, les propriétaires bailleurs sont désormais légitimement inquiets de savoir s’ils pourront toujours bénéficier de la plus value précitée découlant de la libération de leurs terres et ce, alors même que les droits économiques qui en permettent la valorisation, sont restés appartenir au fermier sortant et leur échappent en totalité.

L’évolution du marché des terres agricoles nous dira si cette inquiétude est justifiée ou non, mais il est bien certain qu’elle existe aujourd’hui.

2°/ Cession ou location des DPU

Il arrive fréquemment qu’un propriétaire exploitant cesse son activité agricole et décide, en conséquence, de céder son exploitation à un successeur en lui donnant en location les terres dont il entend rester propriétaire.

Dès lors la question se pose de savoir ce qu’il doit advenir des Droits à Prime Unique, l’exploitant sortant ayant alors la possibilité soit de les céder, soit de les louer à son successeur.

La vente des DPU comporte en elle-même un risque important de voir ces DPU disparaître dans l’hypothèse où le successeur, fermier des terres et propriétaire des DPU, viendrait à les vendre au profit d’un autre exploitant agricole.

A l’inverse, la location des DPU constitue pour le bailleur un loyer supplémentaire qui s’ajoute au loyer des terres, loyer dont la licéité, au regard du statut du fermage, est aujourd’hui incertaine en l’absence de précisions législatives.

Cruel dilemme donc pour le propriétaire exploitant.

3°/ Des interrogations stratégiques

Un propriétaire bailleur rural sait aujourd’hui pouvoir disposer d’un revenu de son patrimoine régulier mais somme toute fort peu conséquent.

Seul le recours aux baux ruraux à long terme permet d’obtenir, grâce à la durée du bail, un fermage nominal plus élevé et également des avantages fiscaux non négligeables en matière d’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit et d’Impôt de Solidarité sur la Fortune.

Aujourd’hui, face à la nouvelle PAC, le propriétaire bailleur est en droit de s’interroger sur le point de savoir s’il n’aurait pas intérêt à retrouver la liberté de ses terres afin de les mettre en valeur lui-même et percevoir les subventions européennes en contrepartie du simple maintien d’un couvert végétal à peu de frais et du respect des contraintes environnementales.

La rentabilité de son capital risque d’en être améliorée de même que sa disponibilité immédiate.

De plus, dans une telle hypothèse, c’est l’entière valeur du foncier + DPU qui serait désormais détenue par le propriétaire qui pourrait donc encore mieux valoriser son patrimoine en cas de revente.

Ces interrogations stratégiques sont légitimement posées aujourd’hui par certains propriétaires et l’on peut s’interroger sur l’avenir du bail à ferme face à de telles considérations économiques et patrimoniales.

Là encore, la réponse se trouvera peut-être dans la nouvelle Loi d’orientation agricole en cours de préparation dont le projet prévoit l’autorisation d’un nouveau type de baux à long terme cessibles librement au profit de tiers et dont le fermage bénéficierait d’une augmentation de 50 % par rapport aux prix actuels des baux.

CONCLUSION :

Ces quelques réflexions démontrent que d’une simple réforme à visée budgétaire européenne des mécanismes de la Politique Agricole Commune, vont découler vraisemblablement des conséquences importantes qui vont modifier les comportements et initier de nouvelles pratiques.

Face à l’incertitude, et pour ne pas dire l’anarchie qui accompagne la mise en place de cette réforme en France, il apparaît urgent de clarifier les règles du jeu.

L’économie des entreprises agricoles a besoin de lisibilité et également de stabilité.

Il serait bien venu de définir une véritable politique agricole dans laquelle s’inscriraient clairement les stratégies combinées des acteurs du monde agricole.

L’avenir de notre agriculture est à ce prix et plus que jamais il convient d’être vigilant.

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