"La campagne que nous avons menée en 2004 a amené les pouvoirs publics à réduire les importations de poulets congelés et même à procéder à une surtaxation de ces produits", explique à l'AFP Bernard Njonga, le président de l'Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic), qui a longtemps mené la bataille contre l'importation de volaille congelée. Résultat: la production avicole a connu récemment un véritable boom, passant de 13.500 à 28.000 tonnes entre 2000 et fin 2005, poursuit-il. Et la filière qui faisait vivre environ 1,4 million de personnes semblait promise à un bel avenir, grâce notamment aux exportations vers des pays de la sous-région. Mais l'annonce de la présence du virus H5N1, forme hautement pathogène du virus de la grippe aviaire, dans deux des dix provinces camerounaises - après un premier cas mi-mars, un deuxième vient d'être détecté - a sérieusement mis à mal l'élevage et le commerce de volailles et de ses dérivés.
Dans l'ensemble du pays, les marchés aux volailles, où les animaux sont vendus vivants, sont désertés par les clients et les prix se sont écroulés. "C'est une véritable catastrophe pour moi qui ait pris un crédit pour engager ce commerce et qui, aujourd'hui, suis obligée de brader les poulets", déplore Catherine, vendeuse au marché central de Yaoundé. Les poulets vivants, qui se vendaient entre 2.500 et 3.000 francs CFA (entre 3,8 et 4,5 euros) trouvent à peine preneur autour de 1.000 FCFA (1,5 euro) et les oeufs, autrefois vendus à 50 ou 60 FCFA pièce sont "liquidés" à 100 FCFA la demi-douzaine. Dans les restaurants, le poulet, jusque-là très prisé, figure de moins en moins au menu. "Nous en avons gardé dans les congélateurs au cas où les clients en commandent, mais, de plus en plus, le poulet est délaissé au profit du poisson et de la viande", explique Charlotte Modom, tenancière d'une gargotte. L'Acdic estime les pertes de la filière à environ 2,5 milliards de FCFA (3,8 millions d'euros) depuis l'apparition du virus.
Face aux sombres perspectives, les éleveurs en sont aujourd'hui réduits à abattre les poussins par milliers. "Nous n'allons pas investir pour faire grandir ces poussins et être dans l'incapacité de les écouler. Il vaut mieux briser la chaîne à cette étape", explique Samuel Kayem, un opérateur du secteur. Du côté des autorités, on plaide non coupable: "Nous regrettons une telle psychose, alors que nous avons, à travers des campagnes médiatiques, expliqué aux Camerounais qu'il n'y a aucun danger à consommer des poulets ou des oeufs, surtout s'ils sont cuits à plus de 70°", rappelle le ministre de l'Elevage, Aboubakar Sarki. Paradoxalement, la solution pourrait venir de la congélation, qui fit longtemps tant de mal à la filière, plaide l'Interprofession des acteurs de la filière avicole du Cameroun (Ipavic). "Nous préconisons désormais que les poulets soient abattus, conditionnés, conservés en chambre froide (...) parce que c'est sous cette forme que ce produit se commercialise le mieux à travers le monde et parce qu'avec cette stratégie, il n'y a plus à déplorer des coûts supplémentaires pour les éleveurs", explique Apollinaire Kam, l'un de ses responsables. En d'autres termes, amener les Camerounais longtemps friands de poulets congelés d'Europe à se tourner désormais vers le "congelé local".