Fondée en 1740, la brasserie Schutzenberger a été mise mercredi en liquidation judiciaire au 19 mai par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg. Environ 70 personnes étaient employées sur le site de Schiltigheim et 110 autres dans les fonds de commerce détenus par la brasserie. L'annonce de cette liquidation intervient alors que les "grosses" brasseries indépendantes alsaciennes se sont déjà toutes fait avaler par plus gros qu'elles. Parmi les plus célèbres, Fischer a été rachetée par le groupe néerlandais Heineken en 1996 et Kronenbourg est entrée en 1970 dans le giron du groupe BSN (futur Danone) avant d'être revendue en 2000 au groupe Scottish and Newcastle, n°1 de la bière au Royaume-Uni.
Pour Michel Haag, PDG de la toute dernière brasserie indépendante alsacienne Meteor (Hochfelden, près de Strasbourg) et président du syndicat des brasseurs d'Alsace, "le contexte économique sur le marché de la bière est effectivement difficile depuis pas mal d'années". "D'un point de vue général, la consommation de boissons alcoolisées est plutôt en régression. En France, notre secteur perd en moyenne 1% par an depuis 25 ans. C'est un marché difficile, affecté par un mouvement de concentration régulier depuis l'après-guerre", analyse M. Haag. En terme de volumes, "de 24.000.000 hectolitres en 1976, nous sommes ainsi passés à 18.000.000 aujourd'hui", précise-t-il.
Côté emplois, les répercussions sont également conséquentes: de 18.000 emplois directs en France il y a quarante ans, on n'en compte plus actuellement que 4.500. En Alsace, le secteur génère encore 2.350 emplois directs et, avec près de onze millions d'hectolitres, assure encore 60% de la production nationale. Si, assure Michel Haag, "aucune loi économique ne condamne a priori telle ou telle taille de brasseries", la conjoncture ne pousse pas vraiment à l'optimisme.
Malgré tout, le marché peut offrir des alternatives à qui sait - ou peut - s'adapter, notamment du côté des "niches". Bruno Husson, brasseur à La Taverne, une des huit microbrasseries alsaciennes, ouverte en 1998 à Strasbourg, explique ainsi que le secteur des microbrasseries est "porteur", avec une progression constante en France depuis une dizaine d'années. Actuellement, on en compte environ 300". Le phénomène de concentration et son corrollaire, l'uniformisation du goût de la bière, ont fini "par lasser les gens.
Quand on ne trouve plus partout que de la Kronenbourg, proposer un nouveau goût, c'est forcément créer un événement". Selon M. Husson, la réduction des volumes de bière observée ces dernières années est fonction d'une demande accrue de qualité: "désormais, les gens ne boivent plus de la bière pour être ivre. Ils recherchent le plaisir plus qu'autre chose et nous, nous tentons de répondre à cette exigence de qualité", explique le brasseur.