"Pourquoi devons nous, paysans pauvres, payer l'entrée de la Bulgarie dans l'Union européenne avec notre rakia", s'est indigné Emil Voutchkov, un bouilleur de cru de Kraïnitsi (sud-ouest). Il travaille dans le seul endroit du village où les gens obtenaient leur eau-de-vie traditionnelle par la distillation de vapeurs de raisins ou d'autres fruits. Actuellement la "maison à rakia" avec ses huit alambics en cuivre est déserte, boycottée par les paysans. Depuis l'adhésion de la Bulgarie à l'UE le 1er janvier, M. Voutchkov est obligé d'exiger de ses clients une accise pour la production d'alcool par des particuliers. "Les gens apportent du marc de raisin et veulent le faire bouillir pour obtenir de la rakia.
Mais dès qu'ils entendent parler d'impôt, ils disent qu'ils en distilleront plutôt à la maison dans des alambics improvisés à partir d'anciennes machines à laver, des samovars à thé ou toute sorte de pots", précise le chef de la coopérative de Kraïnitsi, Lazar Zaharinov. La coopérative propriétaire de la distillerie brevetée doit désormais prélever 2,2 leva (1,1 euro) par litre de rakia et si la quantité du produit dépasse 30 litres, l'impôt s'élève à 4,4 leva (2,2 euros) par litre. Depuis une semaine les fonctionnaires du fisc multiplient les contrôles dans les villages et imposent une amende élevée à tout propriétaire de distillerie traditionnelle ne respectant pas le nouveau règlement.
Quatre distilleries ont déjà été sanctionnées dans la région de Sandanski (sud-ouest) connue pour ses vignobles. "Etes-vous du fisc? Car si vous l'êtes, nous ne vous dirons pas où est la maison à rakia", maugrééent plusieurs vieilles femmes réunies sur la place centrale de Kraïnitsi. "Les gens ici sont pauvres. Ils travaillent leurs vignobles et leurs vergers toute l'année, leur seule joie et moyen de subsistance est la rakia qu'ils en tirent", selon M. Zaharinov. Il ne faut pas oublier que les paysans doivent aussi payer le sucre et le bois, rappelle-t-il et s'ils doivent en plus payer l'accise, l'affaire n'est plus rentable. "Si on calcule toutes les dépenses, les gens doivent payer leur rakia aux prix du marché", ajoute-t-il. Près de 200 habitants de Kraïnitsi ont déjà signé une pétition réclamant "soit une abolition de l'accise, soit au moins son introduction graduelle".
Plus radicaux, plusieurs centaines de paysans de la région de Sandanski ont déversé mardi du marc et de l'eau de vie sur la place du village de Katountsi pour protester contre la taxe. Si l'accise est maintenue, ils recommenceront le 14 février, fête du Saint Trifon et jour du vin en Bulgarie, devant le Parlement à Sofia. "Faire de la rakia est une tradition bulgare. Et cette accise nous assassine. Elle nous oblige soit à violer la loi, soit à renoncer à fabriquer de la rakia", s'est insurgé Ognian Koukov, maire de Kapatovo (sud). Il était apparu à la télévision en train de faire bouillir du marc dans une distillerie improvisée. "Avant c'est l'Union soviétique qui nous dictait quoi faire, maintenant c'est l'Union européenne", s'indignait un autre paysan.
Les protestations ont eu un écho au parlement où le député d'opposition Yane Yanev a demandé le "report de l'introduction de l'accise jusqu'au 1er janvier 2009 comme l'a fait la Roumanie voisine" qui vient aussi d'adhérer à l'UE . Mais le président du parlement Guéorgui Pirinski y est opposé car "la Bulgarie a déjà obtenu la réduction maximale de l'accise". Mais le débat ne fait que commencer.