Luc Lorin - Agriculteur, il conçoit des modèles de prévision des maladies des cultures
« Mes quatre objectifs, pour tous mes modèles, sont : de ne pas traiter sans raison, de placer mon traitement le jour opportun, de gagner du temps et de réduire les charges » explique Luc Lorin. |
Luc Lorin (LL) : En principe un hiver doux est accompagné de pluie hivernale qui favorise le développement précoce des maladies (septoriose, piétin, rouilles). Quand les conditions printanières qui suivent ne sont pas favorables à ces maladies, la pression peut rester relativement moyenne. Nous nous retrouvons dans cette situation cette année mis-à-part pour la rouille où la pression est relativement précoce.
Il est prudent dans ce type d’année d’être encore plus vigilant, car quand l’inoculum hivernal est présent en grande quantité, l’explosion est exponentielle.
Robert80 : Est-ce que les nouveaux fongicides arrivés sur le marché peuvent apporter un plus pour la lutte contre maladies?
LL : Quand un nouveau fongicide arrive sur le marché, s’il appartient à une autre famille, son utilisation permet de jouer sur l’alternance des matières actives.
Quelques exemples :
BELL : nouvelle substance active fongicide de la famille des carboxamides
FLEXITY : nouvelle substance active fongicide de la famille des benzophénones
JOAO : nouvelle molécule de la famille des triazolinthiones inhibiteurs de la biosynthèse des stérols comme les triazoles (attention à la résistance croisée)
[en rouge = éléments importants sur lesquels je veux insister]
Tibo51 : J'ai lu l’article suivant sur Terre-net : Traiter à l’eau de pluie ? Quel est votre avis sur l'utilisation de l'eau de pluie et des produits phytosanitaires à base de plantes?
LL : Je traite depuis toujours avec de l’eau de pluie, en pratiquant les réductions de doses (tiers de dose sur tous les fongicides) et j’ai toujours eu de très bonnes efficacités en terme de lutte contre les maladies. Je ne compte pas arrêter.
Hugolin : Est ce qu'il y a des risques d'échaudage en fonction des prévisions et de l'avancement précoce des blés?
LL : L’état précoce d’avancement des cultures fait qu’il y a statistiquement moins de chance de rencontrer des risques d’échaudage, mais il ne faut pas oublier les températures inférieures à 4°C et le manque de rayonnement au stade méiose.
Je referai le point début mai, en deux mots les prévisions météo à 2 mois sont plutôt pessimistes en ce qui concerne les températures supérieures à 25 °C durant le remplissage des grains.
Laulau : Est ce qu'un brusque refroidissement des températures peut avoir une influence négative sur le futur rendement du colza par rapport au remplissage des siliques?
La rouille : "La pression
est relativement précoce
cette année" note Luc Lorin
(© Arvalis Institut du végétal)
LL : Lorsque la fécondation a eu lieu c'est-à-dire après le 10 mai, statistiquement il est très rare de se retrouver avec des températures inférieures à 0°C durant le remplissage des grains. Si le remplissage a lieu avec des températures inférieures à 25°C, le potentiel de Pmg (poids de mille grains) sera plus élevé.
Stéphanie : Quel programme fongicide privilégier pour gérer au mieux les résistances des produits à la septoriose?
LL : Sur mon exploitation, j’ai privilégié l’association époxiconazole + prochloraze afin de favoriser la lutte des différentes souches de septoriose. C’est une des seules associations qui permette de lutter efficacement contre les différentes souches de septoriose, en particulier les TriMR.
Nicolas : Vu les tendances de la météo à long terme, quelle maladie risque-t-on de voir évoluer dans les semaines à venir ?
LL : Sur le mois de mai, les prévisions météo annoncent une tendance orageuse avec des températures supérieures à la normale. Si le blé est en floraison à cette époque, il se pourrait que le risque fusariose soit élevé et en particulier la fusariose roseum. A suivre si les prévisions ne changent pas et suivant l’emplacement des pluies orageuses !
Jean-Jacques : Des 4 objectifs que vous affichez (à lire en cliquant ICI), j'aurais mis en tête, de réduire la « pression pollution sur l'environnement ». Qu’en pensez-vous ?
Je suis très sensible à ce problème environnemental. L’utilisation des modèles est une solution pour diminuer l’utilisation des pesticides, il est important de faire connaitre au monde extérieur la façon dont nous travaillons avec ce type d’outil.
Jean-Jacques : Comment savoir si le risque est important ou pas? Car toutes les parcelles n'ont pas le même historique, la même culture, donc comment gérer tout ça ?
LL : La partie modélisation climatique reflète la part de développement de la maladie, c'est-à-dire la progression de celle-ci dans un couvert végétal. La partie agronomique (précédent, type de sol, variété, date de semis) reflète la quantité d’inoculum. La résultante des 2 donne un risque lié à la parcelle. C’est pour cela, que l’observation est importante car on peut très bien avoir une modélisation à fort développement sans inoculum et donc le risque sera plus faible.
Jean-Jacques : Dans mon coin, l’expérience est menée depuis une quinzaine d'année (Aurade, Gers) : la réduction des doses a rapidement trouvé ses limites comme les résistances. Quelles réponses pouvez-vous m’apporter quand ça coince?
LL : Les réductions de doses ne sont pas les seules responsables des résistances des maladies aux fongicides. Les risques de développement des résistances sont liés à la matière active et aux caractéristiques du pathogène. La meilleure façon de contourner ce problème est l’alternance des matières actives.
Eric : Fertilisation p/k/mg/s d’origine organique + pas d’apport N > 50 u + peu de raccourcisseur = presque pas de maladies ! Qu’en pensez-vous ?
LL : Pour une grande partie des cultures, les maladies foliaires sont très liées à l’intensification. En effet, la septoriose, l’oïdium et les rouilles ont un développement plus important dans une parcelle où les postes azote et densité sont élevés.
Retrouvez les modèles maladies de Luc Lorin : |
LL : J’ai déjà modélisé la prise en compte de cette variable pour une utilisation personnelle de mon modèle, mais je souhaite qu’elle soit validée pour la mettre dans le domaine public. Ce sera peut-être une extension dans les mois à venir.
Jérôme : Avez-vous les modèles du ministère de l’agriculture ?
LL : Mes modèles sont des algorithmes développés par mes propres recherches, et une grande partie des calculs proviennent de revues scientifiques et phytopathologiques publiques. En ce qui concerne le piétin et la septoriose, ils sont en corrélation avec ceux des ministères (TOP, PRESEPT) et pour les autres modèles, j’ai travaillé avec des essais sur mon exploitation, d’autres partenaires (chambre d’agriculture) et des résultats d’essais sur toute la France (publics) pour les valider.