![]() "Le retour à la terre" prôné par Pierre Rabhi. (©Terre-net Média) |
R : On a ce miracle qu'est la planète Terre. Elle est née de toutes les improbabilités, une oasis dans un désert sidéral et astral. Les astronomes ont beau examiner l'espace, ils n'en trouvent pas d'autres. Or, plutôt que de la considérer comme une chance extraordinaire, nous la voyons comme un gisement de ressources qu'il faut épuiser, jusqu'au dernier poisson, au dernier arbre. Nous sommes dans une espèce d'ébriété.
Q : Il semble y avoir aujourd'hui une prise de conscience croissante des enjeux environnementaux. Vous en réjouissez-vous ?
R : On parle beaucoup, on fait beaucoup d'écume. Mais la juste mesure de l'enjeu n'est pas suffisamment intégrée comme étant décisive. L'urgence est là. Il faut arrêter le pillage. Si nous ne prenons pas des résolutions fortes et déterminées, nous allons disparaître. Je suggère qu'on installe des tableaux de bord dans les villes qui disent tous les jours combien de forêts ont disparu, combien de terres arables ont été ravagées, combien de poissons ont été décimés.
Q: Vous plaidez pour une forme de "sobriété heureuse". Qu'est-ce que cela veut dire ?
R : C'est une position presque rationnelle: en adoptant la sobriété heureuse, je m'affranchis d'un système qui vous pousse à avoir toujours plus, sans joie, sans bonheur. Le système, avec la perversion de l'art publicitaire, vous dit: +vous n'avez jamais assez+. Chacun de nous est invité à ne mettre aucune limite à sa consommation. On fait de cette boulimie une sorte de principe d'existence. Or nous ne sommes pas nés simplement pour consommer et produire jusqu'à la fin de nos jours. Ce serait absurde et triste. Nous sommes nés pour un certain bonheur, une certaine joie d'être.
Q : Vous avez opté pour "le retour à la terre". Pourquoi ?
R : J'ai travaillé à Paris, j'avais l'impression que ma vie était indexée sur l'avoir. En 1961, nous avons décidé de retourner à la terre, de vivre en Ardèche. La démarche était de retrouver la simplicité de vie.
Q : N'est-ce pas aussi un retour en arrière ?
R : Absolument pas. Cela ne veut pas dire renoncer aux acquis de la modernité. C'est trouver le chemin juste. Malheureusement, il y a beaucoup de gens éloignés de ces préoccupations parce qu'on est dans une civilisation hors-sol. Qu'est-ce que c'est Paris ? C'est une masse minérale dans laquelle vivent les gens. Où est la nature ?
Q : Quel regard portez-vous sur les négociations sur le climat ?
R : Les scientifiques posent le problème correctement, ils font leur travail. Mais il ne faut pas croire que dans ces réunions là, on va changer les choses. Tant qu'elle continuera à s'ajuster à cette puissance du lucre, à dire que l'argent est plus important que la vie, l'humanité n'évoluera pas. Il ne s'agit pas de rafistoler le modèle, mais d'en changer.
Q : Ne voyez-vous pas des individus porteurs de solutions ?
R : Il y a des spécialistes de ceci et de cela, envers lesquels on ne peut avoir que de la gratitude. Mais cette problématique est globale, elle ne peut pas être divisée. Le risque est de s'illusionner avec des choses partielles, qui font croire qu'on s'occupe du problème.
Q: Que faire alors ?
R : Garder intacte une capacité d'indignation. C'est presque un devoir. Je suis rebelle depuis 41 ans et l'indignation a toujours stimulé chez moi la créativité pour faire autrement.