Pendant une semaine, les agriculteurs français, qui traversent une crise sans précédent et s'interrogent sur leur avenir, ont ruminé leur colère contre le chef de l'Etat, absent à l'inauguration de la 47e édition de cette vitrine du monde agricole.
Nicolas Sarkozy est arrivé une demi-heure avant l'ouverture des grilles du parc des Expositions de Versailles (XVe arrondissement, Paris), quadrillé par un important dispositif de sécurité. Hormis quelques sifflets couverts par des applaudissements sporadiques et un concert épars de cloches, la visite présidentielle s'est déroulée sans heurt. Devant les allées et contre allées, les exposants, massés, espéraient qui serrer la main du président, qui l'attirer devant son stand. *
Eleveur de 60 vaches à Layolles dans l'Aveyron, Thibaut Dijols n'a pas été épargné par la chute des revenus (-34 % en un an) qui touche les 600.000 agriculteurs français. Pour survivre, lui et sa mère ont ouvert un bar-tabac en parallèle. "C'est toujours un honneur de serrer la main du président même si on sait que ça ne va pas changer grand-chose pour nous", confie-t-il, alors que Nicolas Sarkozy s'éloigne de son stand après un arrêt de quelques minutes au cours duquel le jeune agriculteur dit avoir dressé au président les difficultés et l'avenir "sombre" de sa profession. "Je lui ai dit qu'il faut vraiment faire quelque chose et rapidement", relate-t-il.
Devant son stand, qui propose des fromages, Jean-Luc Langlois suit des yeux le groupe présidentiel qui se fraye difficilement un passage au milieu de la nuée de journalistes. Comme nombre d'exposants, il aimerait bien que Nicolas Sarkozy s'aventure vers son stand et pourquoi pas goûte un de ses fromages. Las, il s'en retourne vers ses cartons. Il aurait souhaité lui dire qu'il a bien fait d'être venu. "Je n'imagine même pas ce qui se serait passé s'il n'était pas venu", avance ce producteur du Parc de Vercors en Rhône-Alpes. Peut-on alors parler de réconciliation ? "Il ne faut pas abuser. L'important c'est qu'il soit là", préfère-t-il retenir.
Adrien Meny est stagiaire dans une exploitation agricole partenaire de son lycée Legta La Brosse dans l'Yonne. Cette ferme de 50 vaches laitières, 110 ha de terres cultivables et 6 ha de vignes, emploie trois ouvriers. En 2009, ils ont renoncé à renouveler le matériel, faute d'argent. "On a besoin des investissements pour ne pas mourir", plaide-t-il. Les prêts bonifiés promis par le président ? "Des effets d'annonce", balaie-t-il d'un revers de la main.
"Ca fait longtemps qu'on n'écoute plus les promesses", lui emboîte le pas Gaec Camus, propriétaire de l'exploitation du même nom à Arnac-La-Poste dans le Limousin. M. Camus dit qu'il ne parvient plus à prélever les salaires: "D'ici deux ans, 30% des agriculteurs vont disparaître", prédit-il. Pour éviter un tel scénario, Gaec, Thibaut, Jean-Luc et Adrien exhortent à court terme M. Sarkozy à "débloquer les marchés" pour favoriser l'export, et à "harmoniser" la réglementation européenne pour qu'il y ait "moins de contraintes". Pour Gaec Camus, "il faut qu'il comprenne que si on nous laisse tomber, on aura du mal à nourrir le monde".