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Hasard du calendrier, la Commission européenne prépare actuellement une étude... dont l'ébauche ne confirme pas la thèse de Paris. « Il n'y a aucun élément probant attestant d'un lien de causalité entre l'activité des marchés des produits dérivés et l'augmentation de la volatilité et la hausse des prix », peut-on lire dans une version de cette analyse que Bruxelles s'est empressé de qualifier de « provisoire ».
Sans attendre, le président français a tourné en dérision ces conclusions. Et pourtant, les experts abondent dans le sens de la Commission. « Cette étude est très sérieuse », affirme Philippe Dessertine, professeur à l'Université Paris X, déplorant le ton « très désinvolte » de Nicolas Sarkozy. « Les recherches académiques ne permettent pas de conclure à un lien systématique, significatif, entre la spéculation et la volatilité sur les marchés agricoles », confirme Gunther Capelle-Blancard, économiste à la Sorbonne.
Des stocks de blé et de maïs en baisse d'au moins 10 %
L'opinion du gouvernement français n'a pas toujours été aussi tranchée: en août encore, Paris reconnaissait qu'il n'y avait pas de consensus sur l'ampleur des interactions. En fait, selon Abdolreza Abbassian, analyste à l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (Fao), il est « quasiment impossible » de mesurer l'impact de la spéculation. « Mais il est toujours secondaire », estime-t-il. La récente flambée des prix est donc davantage due « aux fondamentaux » du marché, c'est-à-dire à l'évolution de l'offre et de la demande, souligne Gautier Le Molgat, du cabinet spécialisé Agritel.
En cause, comme l'a décrit le chef de l'Etat français, des stocks de blé et de maïs en baisse d'au moins 10% par rapport à l'an dernier. « C'est l'effet des dérèglements climatiques, avec les incendies de l'été en Russie et l'actuelle sécheresse en Chine, qui ont un fort impact sur la production », résume Philippe Dessertine. Autre facteur d'instabilité: la "financiarisation" des marchés agricoles, qui évoluent désormais au même rythme que les marchés financiers. « Or, avec une succession de crises depuis 2007, on est dans une période de forte volatilité sur les marchés financiers », rappelle Gunther Capelle-Blancard. Enfin, Philippe Dessertine évoque le rôle du billet vert. « Quand le dollar est fragile et fluctuant, il y a forcément des variations sur les marchés de matières premières », explique-t-il. « Seulement, la France a compris qu'elle n'obtiendra pas grand chose des Etats-Unis sur la question monétaire, donc elle fait diversion en dénonçant la spéculation ».
« Aujourd'hui, on ne peut pas dire qui fait quoi »
Pour autant, les experts s'accordent à dire qu'il faut, comme le préconise Paris, renforcer la transparence et la régulation. « Aujourd'hui, on ne peut pas dire qui fait quoi », regrette Gautier Le Molgat. Or, renchérit M. Abbassian, « si les producteurs n'ont pas les bonnes informations, ils ne peuvent pas investir de manière éclairée: à terme, ça peut provoquer des tensions sur les prix ». Faute de consensus sur la part de responsabilité des spéculateurs, conclut M. Capelle-Blancard, une meilleure régulation permettrait de mettre un terme aux soupçons.
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