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Récemment encore, la société allemande Aquila Capital a annoncé la création d’un nouveau fonds, « AgrarInvest Fonds IV », spécialisé dans l’élevage bovin et ovin en Australie et en Nouvelle–Zélande, avec une promesse de retour de 168 % sur une durée de 7,5 années.
Ces deux exemples européens ne sont qu’une goutte d’eau dans un mouvement plus vaste qui n’est pas sans rappeler le phénomène de la « Nouvelle Economie de la fin des années 1990 », qui incarnait la croissance et le profit rapide. Alors qu’à l’époque, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic) représentaient l’eldorado des placements financiers, ce sont aujourd’hui les terres agricoles qui attisent toutes les convoitises.
320 milliards de dollars US investis dans les matières premières
Notons que selon Barclays Capital, quelques 320 milliards de dollars US de fonds institutionnels seraient investis dans les matières premières, contre seulement 6 milliards il y a dix ans. Les fonds de couverture représentent entre 60 et 100 milliards de dollars supplémentaires. Ces chiffres sont censés doubler dans les années qui viennent.
Ces fonds, qui visent à investir dans la production, et non à spéculer, répondent en partie à l’appel du G20. En partie seulement car ce type de placement, qui permet un désengagement plus rapide que les investissements traditionnels, peut déstabiliser les marchés en cas de sortie anticipée. De plus, leurs investissements, bien que tournés vers la production, sont essentiellement dirigés vers des cultures d’exportation et peuvent générer de l’instabilité. En effet, sur le marché étroit du commerce agricole international (en moyenne 5 à 7 % de la production mondiale), ces productions peuvent rapidement atteindre un volume capable d’influencer le prix mondial et contribuer, en jouant en parallèle sur les marchés financiers, à accroître la volatilité des cours.
Paradoxalement, ces mouvements d’investissements dans les terres et les filières agricoles, certes nécessaires pour le développement l’agriculture, notamment dans les pays les plus pauvres, pourraient bien fragiliser grandement la sécurité alimentaire. En effet, ils ne seront pas sans conséquence :
- sur l’évolution des structures des exploitations agricoles : une accélération brutale de la dynamique de disparition progressive de l’agriculture vivrière déjà engagée, aurait des conséquences sociales dramatiques;
- sur la concentration géographique de la production agricole mondiale : ce sont les zones où les coûts salariaux et les contraintes environnementales sont les plus basses qui concentrent les investissements agricoles, faisant peser un risque sur la biodiversité agricole, ainsi que sur le respect des normes de qualité;
- sur la régularité de la production agricole mondiale : certains de ces nouveaux acteurs de l’agriculture auront la puissance financière et la surface agricole suffisante pour faire varier d’une année sur l’autre les volumes produits, engendrant ainsi de l’instabilité...
Tous les signes d’un scénario de Bulle Agricole sont présents
Or, si quelques Ong se sont penchées sur ces questions, l’analyse des impacts à moyen terme reste insuffisante, vraisemblablement au motif que la priorité est à l’augmentation de la production agricole mondiale pour répondre au problème de la faim dans le monde et de la sécurité alimentaire.
Momagri appelle à une prise de conscience face au risque d’une agriculture excessivement financiarisée, qui, en délocalisant leurs investissements au gré des opportunités financières, mettrait en péril la capacité de production agricole de la planète, y compris dans l’Union européenne.
Faut-il rappeler le funeste dénouement de la période faste de la Nouvelle Economie avec l’éclatement de la Bulle Internet à la fin des années 1990 ? Tous les signes d’un scénario de Bulle Agricole sont présents : de Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le Droit à l’Alimentation, à Jean-Pierre Jouyet, président de l’Amf, la liste des personnalités qui alertent les autorités s’allonge.
C’est la raison pour laquelle momagri propose aux responsables politiques d’intégrer dans le projet de réforme de la Pac la nécessité de conserver un mix agricole qui, sur le principe du mix énergétique, garantirait la co-existence de différentes formes d’agricultures au nom de la sécurité alimentaire.