La décision a été mise en délibéré au 25 janvier après quatre heures d'audience, tandis que 2 à 3.000 opposants, selon les estimations de la police et des organisateurs, manifestaient pacifiquement devant le palais de justice. La manifestation s'est dispersée en milieu d'après-midi.
« Dire qu'on est sereins, ce serait mentir, on ne peut pas imaginer une expulsion », a déclaré avant d'entrer dans le palais de justice Sylvain Fresneau, un des exploitants agricoles visés par cette audience et dont le père a fondé la toute première association d'opposants à l'aéroport... en 1973. Onze familles, anciens propriétaires ou locataires de maisons rétrocédées à Aéroports du Grand Ouest (AGO), filiale du groupe Vinci et concessionnaire du site, et quatre agriculteurs qui ont refusé de vendre leurs terres à l'amiable, sont assignés mercredi devant le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Nantes. La société réclame leur expulsion immédiate, assortie d'une astreinte journalière de 200 à 1.000 euros et d'une mise sous séquestre de leurs biens et cheptels s'ils n'obtempèrent pas.
Les quatre exploitations agricoles menacées d'expulsion représentent 500 hectares sur les 1.650 de la Zone d'aménagement différée créée pour le projet, rebaptisée « Zone à défendre » par ses opposants. 244 autres personnes qui vivaient sur le site ont accepté, depuis la déclaration d'utilité publique du projet en 2008, de partir à l'amiable, rappellent les partisans de l'aéroport.
Un impressionnant dispositif de gendarmes mobiles en tenue anti-émeute, de CRS avec des lanceurs d'eau, encadrent le palais de justice. En fin de matinée, les manifestants étaient 1.500 selon la police, près de 3.000 selon les organisateurs.
Travaux interrompus depuis 2012
« Il faut qu'un tournant soit pris dans les semaines à venir, il faut l'arrêt définitif du projet », a déclaré à l'AFP Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d'Europe Écologie-Les Verts (EELV), venue soutenir les opposants. « Hollande laisse filer le dossier, c'est inadmissible que sur un dossier aussi sensible il garde le silence », a déploré sur place Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne.
L'audience a débuté par l'examen des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) déposées par les avocats des personnes assignées, les procédures d'expulsion n'étant pas, selon la défense, conformes à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l'Homme. Ils demandent à ce que la QPC soit transmise à la Cour de cassation, pour qu'elle donne pouvoir au juge de l'expropriation d'accorder un délai supplémentaire aux personnes expulsées pour quitter les lieux. Le Code de l'expropriation prévoit qu'une fois les indemnités d'expulsion versées, ou consignées si elles ont été refusées, les occupants d'un logement doivent quitter les lieux dans un délai d'un mois, sans possibilité que ce délai soit modifié.
L'un des avocats d'AGO, Me Rajess Ramdenie a demandé au juge d'écarter cette QPC, le « paiement préalable des indemnités étant la seule condition pour la dépossession ». Il a rappelé que les indemnités avaient été fixées en 2012 par la justice, et qu'elles accordaient notamment jusqu'à 1 million d'euros pour Sylvain Fresneau. Le juge des expropriations a en outre indiqué que l'avis du ministère public sur cette QPC était « que la question est dépourvue de sérieux ».
Ségolène Royal a de son côté estimé que ce dossier ne devait pas être réglé « par la force ». « Il faut continuer à dialoguer (...), continuer à mettre à plat l'ensemble des sujets », a déclaré la ministre de l'écologie. Début novembre, Ségolène Royal avait confié qu'elle n'était pas favorable au nouvel aéroport.
« Je pense que les responsables politiques, quels qu'ils soient, devraient faire preuve de plus de réserve en ce qui concerne les décisions de justice », a pour sa part déclaré Jean-Pierre Raffarin (Les Républicains). « On ne peut pas accepter que l'État de droit soit bafoué. La ZAD, c'est une action qui est hors de la loi, et il faut faire respecter la loi. »
« C'est une question qui tient à la gorge tous les agriculteurs de Loire-Atlantique », a dit après l'audience Marcel Thébault, un des agriculteurs touchés par le projet.
Dans la matinée des actions de filtrage de la circulation ont eu lieu à Brest et à Rennes et une trentaine d'opposants se sont rassemblés devant le siège de Vinci à Rueil-Malmaison. L'Etat a annoncé le 30 octobre dernier la reprise des travaux interrompus depuis 2012. Les opposants accusent François Hollande d'avoir « trahi » son engagement, pris en 2012, de geler les expulsions tant que les recours déposés contre le projet n'avaient pas été épuisés, ce qui inclut, selon eux, les procédures d'appel.
Les opposants ont mené lundi et mardi plusieurs dizaines d'actions dans la région nantaise et les départements voisins et samedi, plusieurs milliers de manifestants - entre 7.200 et 20.000 selon les sources - ont totalement bloqué le périphérique nantais. Le transfert de l'actuel aéroport vers le site de Notre-Dame-des-Landes, à 20 km au nord de l'agglomération, devait initialement s'achever en 2017 avec l'inauguration de la nouvelle infrastructure.