En 1970, la dérèglementation européenne ouvre les frontières aux vins italiens meilleur marché : des milliers de vignerons du Languedoc se retrouvent ruinés. Des routes et des ports sont bloqués, des Trésors publics dynamités. "La guerre du vin" fait la une des journaux. Le 3 mars 1976, deux viticulteurs audois sont arrêtés après une action contre le plus grand importateur de vins italiens. Pour obtenir leur libération, le Comité d'action viticole (CAV, sorte de bras armé du syndicalisme) appelle à occuper le pont de Montredon, près de Narbonne. Plusieurs milliers de vignerons s'y retrouvent le 4 mars 1976, bloquant la route et la voie ferrée face aux CRS.
« Nous étions au bord de l'explosion », se souvient André Cases, qui était alors à la tête du CAV de l'Aude. « Les vignerons avaient amené leur fusil. Nous avions tous fait l'Algérie. Alors des CRS... On en avait vu d'autres », raconte à l'AFP ce vigneron, âgé de 79 ans aujourd'hui. « Les CRS se sont fait tirer dessus dès qu'ils sont descendus des camions », reconnaît Jacques Mestre, 82 ans, un autre responsable du CAV. Les forces de l'ordre répliquent et une fusillade s'ensuit durant près d'une demi-heure. « On voyait les balles tracer. Un vigneron en a reçu une en plein front. Alors, tout s'est arrêté », se remémore le retraité. Peu après, les manifestants apprendront qu'un autre mort est à déplorer, un commandant de CRS. Les auteurs des coups de feu mortels ne seront jamais retrouvés.
Un viticulteur audois, Albert Teisseyre, sera incarcéré pendant 70 jours avant d'être libéré puis amnistié. Chaque année depuis, CRS tout comme vignerons se recueillent, à des dates différentes, devant les stèles des deux victimes érigées de part et d'autre du pont de Montredon.
Dimanche, pour les 40 ans, la cérémonie organisée par les viticulteurs comprendra exceptionnellement des prises de paroles de témoins et de responsables.
« Un perpétuel recommencement »
Les « événements de Montredon », comme on les surnomme, auront mis un coup d'arrêt au mouvement viticole, poussant certains à croire que c'était le but recherché par les autorités. « Montredon a été voulu par les pouvoirs publics pour arrêter le mouvement. C'était une provocation », accuse Jacques Mestre. Mais si Montredon a tué le mouvement, au moins temporairement, il a sauvé la vigne languedocienne, souligne Frédéric Rouanet, président du Syndicat des vignerons de l'Aude. « Sans Montredon, il n'y aurait plus de vigne ici. Il y avait un plan de bétonner le Midi. Les anciens de Montredon ont été les premiers à dire attention à l'Europe et ils ne se sont pas trompés », croit M. Rouanet, 32 ans.
Car si la viticulture languedocienne s'est depuis relevée, le malaise a gagné d'autres secteurs agricoles. « Les agriculteurs sont au même point aujourd'hui. Ils ont à affronter la même concurrence déloyale. Nous, c'était les vins italiens. Eux, c'est la salade espagnole ou les canards bulgares. C'est un perpétuel recommencement », avertit Jacques Mestre, qui en veut pour preuve « ce qui se passe au Salon de l'agriculture ». « Un président de la République se fait insulter et siffler. C'est incroyable. J'espère qu'il va y avoir des mesures car, sinon, il va se passer des conneries », avertit Frédéric Rouanet.
« On voit des suicides, des agriculteurs ruinés. Montredon pourrait se répéter aujourd'hui. Les responsables sont les mêmes : le négoce et la haute distribution, des voyous qui veulent faire du profit au détriment du monde agricole », renchérit Jacques Serre, 66 ans, qui était en 1976 un jeune membre du CAV audois. Mais le drame ne « pourrait pas se répéter » à l'identique, avec ses conséquences mortelles, selon lui. « Nous ne sommes plus à la même époque », confirme Frédéric Rouanet. « Ils avaient fait la guerre d'Algérie. Nous, on n'a même pas fait le service militaire. »