En quoi consistent les négociations commerciales ?
D'octobre à mai les acheteurs de la grande distribution discutent avec les représentants des industries agroalimentaires (Danone, Fleury Michon...), les grosses coopératives agricoles (Lactalis...) et les PME, des tarifs auxquels seront vendus les produits de consommation courante pour l'année à venir. Les discussions, qui se tiennent dans des « box », portent sur la fixation des prix et des volumes d'achat, mais également sur le positionnement des produits dans les rayons, les promotions, la présence dans les catalogues ou affiches de publicité des enseignes, etc.
Pourquoi sont-elles toujours tendues ?
Les objectifs des protagonistes sont souvent opposés, obligeant chacun à batailler. « Les négociations, ce n'est pas le monde des Bisounours, ça discute sec, ça crie, c'est dur, ça reste un rapport de force », reconnaissent industriels et distributeurs. C'est même « une spécificité française d'avoir une culture transactionnelle assez âpre, surtout sur l'alimentaire » note Yves Marin, expert de la distribution. Les relations se sont envenimées ces dernières années, dans un contexte de guerre des prix entre enseignes et de chute des cours des matières premières, focalisant les discussions sur les tarifs, souvent sans « aucune prise en considération de la crise que traversent certaines filières », note Rachel Blumen, directrice de Coop de France, la fédération des coopératives agricoles.
Quelles méthodes sont employées pour peser dans les discussions ?
Pour renforcer leur poids, les distributeurs ont conclu fin 2014 des alliances à l'achat (Auchan/Système U, Casino/Intermarché, Carrefour/Cora). Ces super-centrales représentent désormais 92,4 % du marché, créant une position de force dans la négociation. Côté industriels, l'importance de certaines marques devenues quasi-incontournables (Coca-Cola, Nutella...) permet également d'imposer certaines conditions.
Des méthodes moins avouables, allant des « menaces » aux « violences verbales », seraient également employées par la grande distribution, affirment certains industriels. Un patron de PME a récemment fait état d'« un climat de garde à vue (...) proche de l'agression physique » lors des discussions. Des « demandes abusives » comme des compensations de marges, des renégociations à la baisse après la fin des négociations, ont également fait l'objet de plusieurs procédures judiciaires.
Tous les acteurs sont-ils soumis aux mêmes conditions ?
Si la discussion entre gros industriels et distributeurs est souvent musclée, les PME semblent parfois échapper un peu à l'âpreté des débats. En octobre, Dominique Amirault, président de la FEEF (Fédération des entreprises et entrepreneurs de France) avait estimé que « la période (des négociations) s'ouvr(ait) dans des conditions plutôt favorables » pour les petites entreprises.
Des codes de bonne conduite ont ainsi été signés entre les fédérations de PME et coopératives (Feef, Coop de France) et de distributeurs (FCD), tandis que plusieurs enseignes ont instauré des partenariats ou des contrats avec certains petits fournisseurs pour leur garantir des conditions d'achats plus favorables.
Une modification de la loi peut-elle apaiser les choses ?
Pas forcément. Les négociations commerciales ont déjà fait l'objet de plusieurs lois, restrictives (loi Galland en 1996) ou libérales (Loi de modernisation de l'économie, dite LME, en 2008), qui n'ont jusqu'ici pas apporté de solution satisfaisante. Même « en encadrant fermement les négociations », des effets pervers ou des stratégies de contournement, comme les marges arrières (remises différées), sont finalement apparues, note M. Marin.
Par ailleurs, les incertitudes législatives ont tendance à alimenter les tensions plutôt qu'à les réduire. Or, si chacun ou presque s'entend pour affirmer que le système actuel doit être revu, la teneur des modifications reste pour le moment relativement floue. Les ministres de l'agriculture et de l'économie ont ainsi dit que s'ils étaient prêts à réformer la loi, ce n'était pas « leur souhait premier », invitant plutôt les acteurs à proposer eux-mêmes des solutions, allant du développement de la contractualisation à la mise en place de négociations tripartites intégrant les agriculteurs.
Pour Yves Marin, un changement de la loi « pourrait donc donner une impulsion, mais n'est pas, à lui seul, susceptible de modifier drastiquement le comportement des acteurs. »