Moins d'un an après une mobilisation historique, les syndicats agricoles estiment n'avoir pas obtenu suffisamment d'avancées et ajoutent à leurs griefs le projet d'accord de libre-échange entre l'Union européenne et des pays latino-américains du Mercosur.
En fin d'après-midi, l'alliance majoritaire FNSEA-Jeunes agriculteurs (JA) a salué « une première victoire » après l'annonce de la tenue d'un débat suivi d'un vote le 26 novembre à l'Assemblée nationale sur le traité de libre-échange entre l'UE et des pays du Mercosur.
« Nous avançons enfin dans le bon sens » et « sans anticiper la position du Parlement, soyons fiers, collectivement, de cette action syndicale. [...] Rien n'est gagné, nous ne sommes pas naïfs, mais la mobilisation continue », a déclaré sans plus de précision sur la suite du mouvement Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, dans le communiqué commun.
De son côté, Sophie Lenaerts, vice-présidente de la Coordination rurale, interrogée en marge du congrès de la CR à Chasseneuil-du-Poitou, s'est demandé « quel est l'intérêt de débattre d'un sujet sur lequel tout le monde est d'accord ? Pourquoi pas mais cela semble être une perte de temps. Ce débat permettra au moins de comprendre la ratification du traité et le principe du vote, complexe » , selon elle.
Contrairement au début d'année, les syndicats manifestent cette fois en ordre dispersé : alors que l'alliance majoritaire FNSEA-Jeunes agriculteurs (JA) refuse d'organiser des blocages comme l'an dernier, privilégiant des actions symboliques pour « ne pas ennuyer les Français », son rival de la Coordination rurale hausse d'un cran la mobilisation mardi.
Des agriculteurs de la CR ont ainsi établi à la mi-journée un barrage sur l'A9 au Boulou (Pyrénées-Orientales), proche de la frontière avec l'Espagne, bloquant des camions de marchandises mais laissant passer les voitures, a constaté l'AFP.
Venus en tracteurs et voitures, les manifestants ont d'emblée commencé à demander leurs papiers à des chauffeurs de poids-lourds immatriculés en Espagne, pour contrôler les chargements.
« On va bloquer l'A9, mais aussi les dépôts de carburants, les ports, les centrales d'achat. On veut provoquer un chaos et une pénurie alimentaire », a assuré Serge Bousquet-Cassagne, figure de la CR dans le Sud-Ouest, présent au Boulou. Sur l'A9, « fleuve de fruits et légumes qui arrivent d'Espagne », il envisage « un blocage durable (...) sur plusieurs jours ».
Les forces de l'ordre sont présentes en nombre autour de ce péage. « À un moment donné, ils vont vouloir nous virer. S'ils ne le font pas de la bonne manière, on brûlera tout », a menacé M. Bousquet-Cassagne.
« Durcir un peu »
A Agen, des manifestants de la CR ont commencé à verser des déchets devant la préfecture. Le bâtiment avait subi les éclats de la colère agricole fin janvier avec le déversement de lisier sur les façades et un impressionnant incendie devant les grilles.
« On est là pour durcir un peu le mouvement, sans vouloir forcément embêter la population, mais hélas, syndicalement, il n'y a que ça qui marche », a lancé Patrick Franken, tête de liste CR aux prochaines élections à la chambre d'agriculture du Lot-et-Garonne, que le syndicat dirige depuis deux décennies.
Le syndicat, reconnaissable à ses bonnets jaunes, tient en parallèle son congrès national dans la Vienne, où il tient la chambre d'agriculture depuis 2019. La CR avait aussi gagné la chambre de Haute-Vienne cette année-là.
A l'occasion des élections professionnelles prévues en janvier, la Coordination rurale entend ravir d'autres chambres à l'alliance FNSEA-JA, à qui elle reproche notamment d'être trop proche de l'agro-industrie et des gouvernements successifs.
A Charleville-Mézières, les agriculteurs de la Coordination rurale mobilisés comptent rester devant la préfecture cette nuit et jusqu'à mercredi soir, selon le secrétaire général de la CR 08, Thierry Lebègue. Ce matin, ils ont déversé du fumier et des pneus devant le bâtiment.
FNSEA et JA ont poursuivi de leur côté leur mobilisation, entamée lundi. A Bourges (Cher), une dizaine de tracteurs ont ainsi lancé une opération escargot depuis la rocade vers l'Espace de l'Europe, une voie du centre-ville. L'alliance majoritaire a choisi des artères au nom symbolique, comme le pont de l'Europe à Strasbourg, pour interpeller la Commission européenne qui semble déterminée à conclure un accord de libre-échange, avec des pays latino-américains du Mercosur.
Selon les autorités, 14 actions étaient en cours vers 11h30 rassemblant près de 900 agriculteurs et plus de 300 engins agricoles.
La classe politique française affiche une rare unanimité dans l'opposition à l'accord commercial avec des pays du Mercosur. Mardi, le gouvernement a annoncé qu'il allait proposer un débat au Parlement suivi d'un vote sur le sujet, afin de « renforcer la position qui est celle du président et celle du Premier ministre », a expliqué la porte-parole de l'exécutif, Maud Bregeon.
Mme Bregeon a assuré que la France continuerait « à tenir un bras de fer aussi longtemps que nécessaire » avec la Commission européenne pour s'opposer au traité avec le Mercosur, qui ouvre notamment la voie à de nouvelles importations de viande bovine à droits de douane réduits.
Pour les agriculteurs, ce traité fait office de repoussoir. Mais la liste des maux décrits dans les manifestations est beaucoup plus longue : normes excessives, concurrence déloyale, revenus et considération insuffisants...
« Il n'y a pas eu de changement [depuis les manifestations de l'hiver passé] Ça se complique toujours, c'est toujours dur, moi ça ne me donne plus envie, ça me dégoûte », témoigne Cyriac Blanchet, 18 ans, qui représente la 3e génération d'une exploitation familiale à Monségur, dans l'est de la Gironde.