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De 8 à 4 h pour 1 ha de blé
« Il y a 20 ans, l’agriculteur consacrait environ 8 h à un hectare de blé. Aujourd’hui, ce sont plutôt 5 h et on se rapproche de 4 h. » Un avantage indéniable pour le producteur, par exemple à la moisson, surtout quand la météo laisse peu de marges de manœuvre comme l’an dernier. Mais qui coûte souvent très cher.
Loïc Dupuit, responsable équipe conseil au cabinet d’expertise comptable Baudelocque, confirme que « la plupart des entreprises agricoles sont plutôt suréquipées. Mais, le contexte économique diffère d’une ferme à l’autre et quand certains augmentent leurs coûts de mécanisation, d’autres les font baisser. Les écarts entre les exploitations ayant le même type de production n’ont jamais été aussi importants ».
La fiscalité n'a pas sa place dans la réflexion
Ainsi, souvent, pour générer des économies et valoriser l’investissement, l’agrandissement du parc matériel doit s’accompagner d’une hausse des surfaces, ou de la création d’une nouvelle activité, comme un atelier légumes, gourmand en équipement. L’achat commun est souvent le passage obligé pour intensifier l’utilisation du matériel. De nombreuses formes de regroupement existent : copropriété, Cuma… « Toutefois, prévient Jean-Marie Lett, ce qui importe le plus dans le partage de machines ou d’outils, c’est le facteur humain. Chacun doit être conscient qu’il n’y trouvera son compte que si ce paramètre n’a pas été négligé. »
Imaginer le pire pour être prêt quoiqu’il arrive : décisions partagées d’investissement, travail en équipe, organisation et planification des chantiers, répartition des tâches (conduite, entretien, réparations, carburant, etc.), gestion des conséquences des négligences (responsabilité, sanctions, règlement des litiges), des pannes, des aléas climatiques (écarts de rendement si un orage survient entre deux usages de la moissonneuse-batteuse).
« En cas de dégât sur la vis de la moissonneuse, illustre le responsable, comment sont gérées les répercussions de l’immobilisation de la machine ? Après s’être posé toutes ces questions, l’aspect juridique peut être examiné mais ce n’est alors plus qu’une formalité. »
Les raisons d’agrandir le parc matériel peuvent être diverses : amélioration du confort du conducteur, réduction du temps passé au volant, accès aux dernières innovations technologiques ou qualité du travail effectué. La présence de cultures industrielles et la configuration du parcellaire peuvent aussi entrer en ligne de compte. « Ce qui prévaut, intervient Loïc Dupuit, c’est que les décisions prises soient cohérentes avec les motivations. Par exemple, il est difficile, avec des engins plus larges, de réduire à la fois le temps passé au volant et les frais relatifs. »
L’humain au cœur de la réflexion
La gestion du parc matériel commence par un diagnostic des coûts de mécanisation, qui nécessite de connaître la date d’achat, l’itinéraire cultural, le temps de travail, la puissance développée à l’hectare… Le résultat par culture ou par équipement permet d’estimer si celui-ci est sur ou sous-dimensionné. « Par contre, avertit Jean-Marie Lett, la fiscalité n’a pas sa place dans la réflexion concernant le renouvellement du matériel. Certes le remplacement d’une machine fiscalement amortie va limiter les prélèvements fiscaux et sociaux. Pour autant, l’optimisation de ces prélèvements ne doit pas prendre le pas sur la stratégie d’équipement. D’autres outils sont dédiés à cela, comme la durée de l’exercice, la Dpa ou encore le régime fiscal : IR ou IS. »
Levier de réduction des coûts de production
« L’acquisition d’un matériel va générer de nouvelles charges fiscales, mais celles-ci sont positionnées sur les exercices futurs. Or, du fait de la volatilité actuelle des prix des matières premières agricoles et des intrants, et des aléas climatiques, difficile de prévoir le niveau de revenu des exercices ultérieurs !
De plus, s’ensuivent des remboursements d’emprunts qui handicaperont la trésorerie des années à venir si celles-ci sont mauvaises. » Une décision d’achat se prend d’ailleurs idéalement dans le cadre d’un plan d’investissement pluriannuel. Par contre, le niveau de revenu au moment de l’achat peut impacter le mode de financement et déterminer la part d’autofinancement et le montant de l’emprunt.
De tous les objectifs cités, il ne faut pas oublier, et c’est peut-être le plus décisif, que l’optimisation de son parc matériel, si elle aboutit à une diminution des charges de mécanisation, est un levier majeur de baisse des coûts de production.
« En Champagne crayeuse, détaillent les conseillers, pour des exploitations non diversifiées avec un assolement classique (céréales, oléoprotéagineux, betteraves, luzerne), le coût de mécanisation représente 440 €/ha en moyenne, soit plus de 40 % des charges de structure (1.019 €/ha). Sur ces 440 €, les amortissements, qui reflètent les choix d’investissement du chef d’entreprise, s’élèvent à 200 €/ha. Plus surprenante, la dispersion de ces frais de mécanisation. Pour des productions identiques, dans une même région, un quart des exploitations se situent entre 509 et 691 €/ha, tandis qu’un autre quart présente des coûts compris entre 189 et 354 €/ha, et ce avec des rendements quasiment identiques. » Ces dernières semblent mieux armées pour faire face à la volatilité…