Vente ou donation, des responsabilités différentes
La transmission d'une exploitation agricole est une opération complexe, au carrefour du droit rural, droit civil et droit fiscal. Qu'il s'agisse d'une vente ou d'une donation, l'agriculteur qui cède son exploitation (le cédant) se soumet à différents régimes de garanties et de responsabilité.
Le repreneur, qui investit un capital financier et personnel important, doit être protégé si des défauts ou problèmes venaient compromettre la viabilité de son projet.
Ici, la loi opère une distinction fondamentale :
- la vente (cession à titre onéreux) : le cédant vend son exploitation en échange du paiement d’un prix. Cet acte impose au vendeur des garanties légales fortes pour assurer au repreneur une prise en main paisible de l’exploitation qu’il achète ;
- la donation (cession à titre gratuit) : le cédant cède l’exploitation sans contrepartie (souvent dans un cadre familial). Cette situation entraîne un régime de responsabilité plus allégé pour le donateur, avec moins de garanties pour le repreneur.
L'étendue des garanties dépend donc entièrement de la nature de la transmission.
Quelles garanties du cédant en cas de vente ?
Lorsqu'une exploitation est vendue, le cédant est tenu par la loi à deux garanties principales envers l'acquéreur : la garantie des vices cachés et la garantie d'éviction.
La garantie légale des vices cachés, c'est la protection fondamentale de l'acheteur. Elle découle de l’article 1641 du Code civil. Le vendeur doit garantir l'acheteur contre les défauts ou problèmes cachés qui rendraient l’exploitation cédée « impropre à l'usage auquel on la destine ».
Pour être invoqué, le vice doit remplir trois conditions cumulatives :
- être caché : le défaut, le problème, ne doit pas apparaître lors d'une visite préalable. Le caractère "caché" est apprécié au cas par cas, selon les compétences de l'acheteur (un défaut peut être caché pour un néophyte mais apparent pour un agriculteur expérimenté) ;
- être antérieur à la vente : le défaut devait exister, au moins en germe, avant ou au moment du transfert de propriété de l’exploitation ;
- être grave : le problème doit rendre le bien concerné impropre à son usage normal ou le diminuer fortement.
Concrètement, en agriculture, un vice caché peut concerner :
- les terres et bâtiments : une pollution des sols non révélée (hydrocarbures, métaux lourds) est un vice caché. De même pour des défauts structurels graves (fondations défectueuses, charpente attaquée) ;
- le matériel : un robot de traite ou un tracteur présenté comme fonctionnel mais ayant un défaut structurel dissimulé au moment de la vente. Les éléments dits “incorporels” (la non-transférabilité de droits Pac ou de quotas, si elle n'était pas décelable et rend l'exploitation non viable, peut être analysée comme un vice caché).
S’il y a un vice caché découvert après la vente, l'acheteur peut alors demander soit l'annulation de la vente, soit une réduction du prix.
Pour ce qui est de la garantie d'éviction, il faut se référer à l'article 1626 du Code civil. Cette garantie impose au vendeur d'assurer à l'acheteur la « possession paisible » de l’exploitation agricole. Elle ne protège pas contre un défaut matériel, mais contre un « trouble de droit », c’est-à-dire une demande juridique qui affecterait l’exploitation agricole.
Exemples concrets
La découverte, après la vente, d'une servitude de passage ou de canalisation non apparente et non déclarée, qui limite l'usage d'une parcelle. L'existence d'un bail rural consenti à un tiers et non révélé, privant le repreneur de la jouissance de terres qu'il pensait acquérir libres.
La garantie d’éviction protège le repreneur face à ces risques.
Vente de parts sociales : l’importance de la garantie d’actif et de passif
Si l'exploitation agricole est en société (EARL, Gaec...), la transmission se fait souvent par vente des parts sociales. Le repreneur achète la société « telle qu'elle est », c'est-à-dire avec ses actifs (matériel, cheptel, trésorerie…) mais aussi tout son passif (dettes, risques fiscaux, sociaux...).
Les garanties légales (vices cachés, éviction) sont souvent insuffisantes. C'est pourquoi les actes incluent presque toujours une clause de garantie d'actif et de passif (GAP). Cette garantie est contractuelle (elle doit être rajoutée dans le contrat de vente) et protège le repreneur contre :
- un passif occulte (ex : un redressement MSA, une dette non-payée) dont l'origine précède la vente ;
- une diminution de la valeur des actifs (ex : stock surévalué, perte de valeur d’un matériel).
La GAP est une clause très importante, à ne pas négliger quand on cède une société agricole.
La responsabilité limitée du cédant en cas de donation
Dans le cadre d'une transmission familiale de l’exploitation, la donation (ou donation-partage) est fréquente. Le régime juridique inverse alors la logique de protection.
Le principe, c’est l'absence de garantie légale. L'acte de donation est considéré comme « bienfaisant ». Le donateur transmet le bien « en l'état ». Par conséquent, le cédant/donateur n'est tenu, en principe, ni à la garantie des vices cachés, ni à la garantie d'éviction du fait des tiers.
Pour le repreneur, les conséquences sont drastiques. S'il découvre une pollution, un défaut structurel majeur ou si un voisin revendique une servitude, il ne dispose d'aucun recours contre le cédant sur le fondement de ces garanties. Le risque lié à l'état du bien est entièrement transféré sur le repreneur de l’exploitation.
Il y a toutefois quelques exceptions, limitées. Ce principe d'irresponsabilité n'est pas absolu.
Le donateur ne doit pas perturber lui-même la bonne exploitation par le repreneur.
De plus, si le donateur a volontairement et frauduleusement dissimulé un vice grave qu'il connaissait (par exemple, en masquant un arrêté de péril), sa responsabilité pourrait être engagée sur le fondement du dol (article 1137 du Code civil). Prouver une telle manœuvre est cependant très difficile.
Enfin, et c’est un point crucial, le cédant a une obligation d'information ICPE. Cette obligation d'informer l'acquéreur si le terrain a accueilli une installation classée (ICPE) s'applique aussi bien aux ventes qu'aux donations (article L. 514-20 du Code de l'environnement).
Retenir l’essentiel
La responsabilité du cédant varie selon qu’il vend, ou qu’il transmet gratuitement, l’exploitation.
- La vente : une protection pour le repreneur. L'acheteur est protégé par deux garanties légales (vices cachés et éviction). Le cédant engage lourdement sa responsabilité sur l'état du bien vendu.
- La donation : moins de protection pour le repreneur. Le donataire (celui qui reçoit) est moins protégé. Il reçoit le bien « en l'état » et assume l'essentiel des risques, sauf fraude avérée du donateur. La transparence du cédant est sa meilleure protection. Pour lui, la stratégie à privilégier n'est pas la clause d'exclusion (qui peut être annulée en cas de mauvaise foi) mais la transparence : réaliser les diagnostics en amont et mentionner expressément dans l'acte de vente, ou de donation, tous les défauts ou risques connus. Cela désamorce toute accusation de dissimulation.