Notre approche n'est pas seulement financière, explique Ronan Simon, du Crédit Mutuel de Bretagne. Elle est axée sur « les porteurs de projets » et intègre « une analyse poussée de leurs capacités à réussir » leur installation en agriculture, qu'il s'agisse de leur formation et expériences, de leurs savoir-faire techniques, de gestion et de management, de leurs facilités à anticiper et à bien s'entourer. « Aujourd'hui, on ne s'improvise pas chef d'exploitation », a fortiori lorsque la capitalisation est forte, insiste-t-il. Au-delà de ces aspects humains, il faut aussi étudier en profondeur « la cohérence du projet » c'est-à-dire de l'outil de production, notamment son état et sa fonctionnalité, et « du prix de la ferme qui doit être économiquement viable ».
Depuis plusieurs années, les exploitations agricoles se concentrent fortement, donnant des structures de très grande taille, avec une diversification des ateliers et la création de nouvelles activités, par exemple de production d'énergies, « dont les valeurs atteignent plusieurs milliers voire millions d'euros », observe Émilien Briand, du Crédit Agricole. « Le risque n'est plus le même qu'avant, que ce soit d'un point de vue capitalistique ou humain, souligne-t-il. Les banques doivent s'adapter à ce contexte afin de sécuriser les jeunes et faire perdurer les entreprises. »
Avec des activités de plusieurs milliers ou millions d'euros (méthanisation, etc.), le risque n'est plus le même. Les banques doivent s'y adapter !
Que vend-on lors d'une cession d'exploitation ?
« Des actifs dans le cas d'une entreprise individuelle : bâtiments, cheptel, matériel, stocks..., rappelle le banquier, faisant référence aux explications d'Olivier Pavageau, juriste chez Icoopa, concernant les solutions juridiques pour transmettre des fermes à capitaux importants. En société, ce sont soit des actifs, soit des titres : parts sociales, comptes courants d'associés, etc. » Or sur le plan bancaire, « la cession de parts peut se porter sur la garantie, poursuit-il. Sachant qu'il « est interdit d'en prendre sur les biens d'exploitation ».
Les transmissions de fermes se font, de plus en plus, par transferts de titres. Elles doivent encore plus s'anticiper !
Puisque les fermes s'agrandissent, « leur transmission se fait de plus en plus par transferts de titres, confirme Émilien Briand. Et elles doivent d'autant plus s'anticiper, 7 à 10 ans avant le départ à la retraite. « Cédants, comme repreneurs, doivent davantage encore définir leurs objectifs initiaux. » Selon lui, « la clé de réussite est la progressivité pour avoir un niveau de parts sociales cohérent avec la capacité de remboursement » du candidat à l'installation. Un choix qui revêt de multiples avantages (cf. tableau ci-dessous).
Intérêts de la transmission/reprise progressive d'exploitation
Côté repreneur | Côté cédant |
Acquérir savoirs + compétences pour la conduite/gestion d'une ferme | Trouver le(s) bon(s) successeur(s), limiter les échecs et s'adapter à leurs nouveaux profils/projets |
Réduire l'endettement privé (achats des parts sociales petit à petit) | Anticiper la fiscalité |
Observer/analyser la ferme in situ avant d'investir lourdement (réaliser les investissements opportuns pour améliorer la structure dans le temps) | Partir en retraite en douceur (prendre le temps de se préparer psychologique à céder le fruit d'une vie, voire parfois de plusieurs générations, de travail) |
« Une histoire de compromis »
« Tout est une histoire de compromis », reprend le spécialiste car il existe toujours plusieurs stratégies de transmission pour une même exploitation, avec des atouts et contraintes pour chaque partie. Principaux éléments de consensus : le prix, la fiscalité, le mode de financement, la date de cession et les choix patrimoniaux liés au poids croissant du foncier. Lequel peut s'acheter ou, pour diminuer l'investissement de départ, se louer avec un bail à long terme, ou se transmettre via la création d'un GFA (groupement foncier agricole). De même, la location/vente des bâtiments de ferme est envisageable, avec dégrèvement possible lors de l'acquisition. Tout ceci étant des pistes potentielles et en aucun cas obligatoires.
Prix, fiscalité, financement, choix patrimoniaux : chercher le consensus.
Question fiscalité, « attention au poids du passé pour le calcul de la part, autrement dit aux déductions fiscales pour investissements et déductions pour épargne de précaution, mais également au futur », met en garde l'expert. L'objectif pour le cédant : diminuer sa fiscalité. Et pour le jeune : maximiser les amortissements pour, lui aussi, baisser sa fiscalité et ne pas financer celle du futur retraité, qui aurait due être réglée au moment de la cession.
Davantage de financements multi-banques
Quant au mode de financement, de nombreuses possibilités peuvent s'envisager : vente partielle ou différée, crédit vendeur, prêt familial, prêt d'honneur... « Les banques sont de plus en plus attentives à la notion de fonds propres et/ou apport personnel pour des raisons réglementaires, comme de résistance et réussite du porteur de projet », précise Ronan Simon. Ce dernier peut aller de zéro en cas de reprise progressive à 10-15 % du montant total pour des dossiers d'un à deux millions d'euros, ceci afin d'avoir suffisamment de marge de sécurité.
De plus en plus attentives à l'apport personnel.
Soit l'établissement bancaire intervient seul, sans qu'il y ait de montant défini pour autant, « c'est surtout la solidité financière du repreneur qui entre en ligne de compte ». En fonction de l'importance du projet, « l'intervention de pools bancaires est de plus en plus fréquente ». Comme celle d'autres financeurs : groupements de producteurs, BPI (banques publiques d'investissement) en contre-garantie ou cofinancement, crédits vendeurs, investisseurs extérieurs (familiaux ou autres).
Pas de solutions uniques, que des solutions coconstruites avec les repreneurs et l'ensemble des partenaires.
« On regarde de plus en plus l'aval de la filière pour aller chercher éventuellement des contrats de commercialisation », ajoute le banquier. « Il n'y a pas de solution unique, que des solutions coconstruites avec les repreneurs et l'ensemble des partenaires, conclut-il. L'essentiel étant d'anticiper et de s'entourer des personnes compétentes : banques, centres comptables, chambres d'agriculture, notaires, avocats. Et d'avoir de la motivation et de l'envie ! »
Source de l'article : webinaire, organisé par la chambre d'agriculture de Bretagne, dans le cadre de la semaine régionale de l'installation et de la transmission, du 20 au 27/11/20 et de la Quinzaine de la transmission/reprise d'exploitations agricoles 2020 déployée à l'échelle nationale dans tout le réseau.