![]() Entre avril et fin août 2012, il n'y a pas eu de précipitations pour arroser nos champs de tournesol ! (© Offre et demande agricole) |
![]() (© Terre-net Média) |
Pire qu’une sécheresse, un mauvais climat politique
Un an après, retrouvons Olena Pastarnak, agricultrice au sud de l’Ukraine et consultante à Offre et demande agricole (Oda). En 2012, elle se demandait si sa famille pourrait encore cultiver les 1.250 ha de l’exploitation (cf. Terre-net Magazine n°13 - février 2012). La réponse est oui. Mais, la situation économique et politique s’est fortement dégradée dans le pays. « Elle est au moins aussi préjudiciable que la sécheresse que nous avons subie l’été dernier après l’hiver glacial de 2011/2012 », martèle Olena Pastarnak.
« La monopolisation de l’économie par le parti de l’actuel président, Viktor Yanukovych, a conduit brutalement l’Ukraine dans le précipice. L’incompétence du gouvernement, comme l’absence de volonté de développer le pays, ont augmenté la dette souveraine et freiné les investissements étrangers. Sur l’exploitation, les projets d’investissement sont bloqués car les taux d’intérêt sont passés de 18 % en 2012 à 25 voire 28 %. Avec de tels taux, il n’est pas question de recourir à l’emprunt ni de faire confiance aux banques pour financer nos plans de développement.
Par ailleurs, la défense des intérêts des oligarques aux dépens de la cause générale s’accompagne, dans le secteur agricole, d’une surenchère du prix des intrants, de l’engrais azoté par exemple. Dmitriy Firtache, qui possède quatre des six usines de fabrication d’engrais du pays, a créé artificiellement une pénurie sur le marché intérieur. Les prix ont explosé alors que les cours mondiaux s’étaient entre temps repliés. Cet homme d’affaires a préféré exporter une partie de sa production d’ammoniac. Le gouvernement a pourtant mis en place un comité anti-monopole pour éviter que de telles situations ne se produisent. Mais, quand il s’agit de s’opposer aux agissements des individus proches du pouvoir, tout combat est vain !
Dans un tel contexte, la réforme foncière envisagée par le gouvernement ukrainien a été repoussée et le moratoire sur la vente de terre a été prolongé jusqu’en 2016. La priorité du gouvernement est d’élaborer un cadastre et de faire voter le projet de loi réglementant le marché foncier, très critiqué par les agro-holdings. Il a même été rejeté par la Rada (Assemblée nationale) car selon le texte, la taille maximale d’une exploitation ne pourrait pas excéder 5.000 ha ! »
La réforme foncière repoussée
« Autrement dit, le projet de loi ne protégeait pas les intérêts des exploitations de plus de 100.000 ha. Aussi, leurs dirigeants ont joué de toute leur influence politique et financière pour qu’il ne soit pas adopté. Or, il défendait le modèle d’agriculture familiale ukrainien, indispensable pour l’équilibre économique des villages.
![]() Le moisson 2012 a été très décevante (6 q/ha en blé et tournesol, 11 q/ha en orge) au regard des charges engagées en intrants. (© Offre et demande agricole) |
Résultat : les rendements de tournesol et de blé ont été misérables (6 q/ha) et l’orge de printemps n’a pas dépassé 11 q/ha. Certaines parcelles n’ont même pas été récoltées ! Or, en année normale, la production de blé s’élève à 30 q/ha, celle d’orge à 27 q/ha et celle de tournesol à 15 q/ha. Des résultats très décevants au regard des charges engagées en intrants pour réussir notre campagne !
En effet, nous avions utilisé l’an dernier des semences importées de France, nous avions réalisé les traitements phytosanitaires qui s’imposaient et nous avions épandu les doses d’engrais requises pour garantir des rendements. Il n’en a rien été. A la floraison, les céréales ont été échaudées car elles
n’ont pas résisté aux températures extrêmes qui régnaient.
Néanmoins, comme les conditions climatiques ont été médiocres sur l’ensemble de l’hémisphère nord (pluies excessives en Europe, sécheresse aux Etats-Unis), nos céréales ont été bien vendues car les prix ont flambé dès juillet 2012, en pleine moisson. Nous sommes donc parvenus à dégager des marges brutes positives, mais pas suffisantes évidemment pour espérer un revenu. »
Sécuriser le système en innovant
« Nous avions stocké une partie de la récolte de l'année précédente, que nous n’avons commercialisée qu’en juillet 2012. Ainsi, nous avons couvert nos besoins en trésorerie pour financer la campagne 2012/2013. Il n’était pas envisageable d’emprunter pour payer nos charges. En fait, suite aux aléas climatiques de plus en plus importants, acheter des intrants constitue un risque majeur pour les comptes de la société. Sans oublier le montant du fermage qui a grimpé de 35 €/ha en 2010 à 49 €/ha en 2012 et dont il faut s’acquitter même si on ne récolte rien ! Face à ces dérèglements climatiques et politiques, nous n’avons pas d’autre solution que de sécuriser notre système en innovant. »
Déjà les premiers résultats
« Première étape : le semis direct. En 2013, nous envisageons de cultiver au moins 500 ha avec cette technique. En limitant le nombre d’interventions, nous pensons préserver l’humidité du sol tout en réduisant les charges de gasoil. Nous avons donc investi dans un tracteur plus puissant et un semoir. Nous sommes optimistes car nous voyons déjà les premiers résultats en blé d’hiver, implanté à l’automne 2012 avec du matériel loué. L’état des cultures est meilleur que celui des parcelles semées après labour.
Notre stratégie ensuite : installer un système d’irrigation dans les 400 ha qui nous appartiennent en nom propre, soit sur 30 % des champs cultivés. C’est un investissement indispensable pour minimiser notre exposition au risque de sécheresse.
En complément de revenu, mon frère Sergey s’est lancé dans le tourisme cynégétique. Pendant la période hivernale, il partage cette passion transmise par notre père avec des agriculteurs étrangers, eux aussi chasseurs. Sept Français sont venus cet hiver et ont été ravis de visiter notre exploitation, de découvrir la cuisine traditionnelle et l’ambiance de la ferme familiale. »
Face aux holdings
Le modèle coopératif français pris en exemple
En voyage en France à l’occasion du dernier Sima, Serguey Dimidzjiev, président de l’Association des agriculteurs de la région de Donetsk (est de l’Ukraine), et plusieurs de ses collègues sont repartis convaincus que la coopération à l’occidentale protège les agriculteurs à la tête d’exploitations de dimension humaine alors qu’en Ukraine, elle a symbolisé pendant plus de 70 ans le collectivisme de l’époque soviétique.
En visitant des fermes céréalières du centre de la France, ces exploitants ukrainiens ont pu découvrir les différents organismes et associations agricoles qui existent dans notre pays et leur fonctionnement (Cuma, coopératives d’approvisionnement et de collecte…).
Créer une coopérative d’approvisionnement
![]() Serguey Dimidzjiev (à droite) et Levgen Pastukhov, consultant chez Oda, lors d'une émission vidéo tournée par Terre-net au Sima. (© Terre-net Média) |
Celles-ci font en effet pression sur les petits propriétaires pour qu’ils acceptent de leur louer plus cher leurs lopins, aux dépens des agriculteurs familiaux, à qui ils les avaient confiés après le démantèlement des Kolkhozes. Or, ces agriculteurs n’ont pas les moyens de s’aligner sur les tarifs proposés par les holdings qui elles, en revanche, en ont suffisamment pour exploiter des centaines de milliers d’hectares.
Un club marché
De plus, en s’associant, les agriculteurs ukrainiens pourraient bénéficier de certaines subventions de l’Etat pour se développer. Cela leur permettrait, par exemple, d’acquérir d’importants troupeaux laitiers (500 vaches environ) et de se lancer dans la production de lait. Alors que, seuls, ils ne touchent aucune aide du gouvernement. Or, selon Serguey, les exploitations de 1.000 ha sont essentielles pour l’économie des villages car elles emploient de nombreux salariés.
Mais sans politique agricole telle que nous le concevons en Europe occidentale, elles sont livrées à elle-même et vouées à disparaître. D’autant qu’en 2013, après une nouvelle année de sécheresse, beaucoup d’entre elles ne peuvent pas financer la nouvelle campagne céréalière. Elles sont alors particulièrement vulnérables face aux holdings.
Serguey Dimidzjiev est également à l’initiative du premier club marché d’Oda en Ukraine. Une façon, pour lui, d’inciter les agriculteurs de sa région à travailler en groupe une fois par mois, afin de mieux comprendre les marchés et de raisonner la commercialisation des grains avec l’appui d’experts.
Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°25
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