
Thomas Bourgeois, agriculteur à Léglantiers dans l'Oise : « Dans un département comme l’Oise, le potentiel du colza est de 45 à 50 q/ha, voire 60 q. Le problème depuis quelques années : un aléa extérieur vient systématiquement empêcher l’obtention d’un tel rendement. Soit il fait trop chaud ou trop sec, soit il pleut trop et une maladie se manifeste…
Je crois que les hybrides constituent un bon support de sélection en colza. Comme pour le phoma, les sélectionneurs doivent continuer à travailler sur le rendement, la résistance au stress hydrique et aux maladies. Des recherches importantes sont conduites pour faire progresser la teneur en huile et la qualité, mais ce sont des améliorations que nous ne percevons pas à notre échelle.
En blé, on entend souvent dire que les rendements stagnent. Ce n’est pas tout à fait vrai. Ils continuent à augmenter légèrement tous les ans, même si la progression n’est pas aussi marquée que dans les années 1980. Mais avec le dérèglement climatique, les conditions météo ne permettent plus aux producteurs de percevoir le progrès génétique. Aujourd’hui, nous avons besoin de plus de rendement bien sûr, mais également de plus de protéines. Tout le monde le crie haut et fort : la qualité des blés français pèche. Or on sait que le premier paramètre pour faire de la protéine, c’est la variété. Avec Ecophyto 2018, les sélectionneurs ont fortement orienté leurs programmes vers la résistance aux maladies. Tout en continuant à accroître la productivité, il faut qu’ils prennent davantage en compte les caractéristiques qualitatives pour que nous puissions rester compétitifs à l’export.

faire face aux défis de l'agriculture. (©Terre-net Média)
Les blés hybrides sont des types variétaux intéressants, mais très contraignants à produire. Bien que la multiplication de semences se développe un peu tous les ans, leur mode de production sera toujours un frein à un accroissement conséquent des surfaces comme c’est le cas en orge. Mais je sais que les sélectionneurs planchent sur d’autres modes de production des blés hybrides. »
L’avis des experts : Xavier Pinochet du Cetiom, Michel Renard de l’Inra, le Gnis et plusieurs entreprises semencières.
Depuis quelques années, la sélection du colza ne vise plus seulement la productivité comme l’ont souligné Xavier Pinochet du Cetiom et Michel Renard de l’Inra de Rennes dans la revue Ocl (Oilseeds & fats, crops and lipids, volume 19 numéro 3). « La société est de plus en plus exigeante vis-à-vis de l’agriculture, indiquent-ils. Il faut produire toujours plus avec des marchés diversifiés… tout en respectant l’environnement, en améliorant les bilans énergétiques et en réduisant l’utilisation des produits de protection des plantes. Face à ces défis nombreux et difficiles, la génétique apparaît comme un levier de premier plan, si elle arrive à hiérarchiser ses objectifs et à répartir ses moyens. »
En colza, déployer de nouvelles approches
« Néanmoins, la productivité reste un élément majeur pour lequel des approches nouvelles doivent être déployées », reconnaissent les deux chercheurs. Ils insistent en particulier sur l’intérêt d’optimiser l’effet hétérosis des hybrides en sélectionnant séparément les mâles et les femelles, ou encore d’élargir la variabilité génétique à partir des sources encore non utilisées de l’espèce colza, mais aussi de navette et de chou dont le croisement est à l’origine du colza.
Ils suggèrent par ailleurs de chercher à limiter l’égrainage et à améliorer la nutrition azotée et l’interception du rayonnement lumineux. Selon eux, la génétique a un rôle primordial à jouer dans le cadre du plan Ecophyto, notamment au niveau des résistances aux maladies et aux insectes. « Les stratégies de protection peuvent s’appuyer sur des caractères variétaux divers allant bien au-delà de ces seules résistances… comme la vigueur au départ, la précocité, la durée entre stades de développement, la hauteur, les critères morphologiques ou l’émission de substances volatiles provenant de métabolismes secondaires. »
En blé, créer de nouveaux hybrides
En blé, les sélectionneurs exploitent également de nouvelles pistes pour déplafonner les rendements. Saaten-Union, le spécialiste des blés hybrides obtenus à l’aide d’un agent chimique d’hybridation, explore par exemple deux autres techniques. « Il s’agit d’hybridations génétiques cette fois, expliquait le Dr Volker Lein, directeur scientifique de Saaten-Union, présentant ses travaux en France. L’une repose sur une source de stérilité issue d’une orge sauvage, Hordeum chilense, la seconde fait appel aux Ogm. » Depuis quatre ou cinq ans, plusieurs autres groupes s’intéressent aussi au blé et particulièrement au blé hybride. C’est le cas de Limagrain, Syngenta ou Bayer CropScience en Europe, mais aussi de Dupont-Pioneer ou Monsanto aux Etats-Unis.

les programmes de sélection. (©Terre-net Média)
Sans aller jusqu’aux hybrides, cette espèce majeure, qui faisait figure de parent pauvre de la sélection aux cours des années 1990 – 2000, retrouve de l’intérêt aux yeux des sélectionneurs. Des entreprises comme Ragt Semences ou Florimond Desprez mobilisent à nouveau des capitaux pour booster leurs programmes de recherche.
Autre voie innovante : les variétés synthétiques. « Contrairement à de nombreux végétaux qui n’ont qu’un seul génome, le blé tendre cumule les génomes A, B et D de trois plantes différentes, Triticum monococcum, Aegilops speltoïdes et Aegilops squarrosa (encore appelé Aegilops tauschii) », précise le Gnis (Groupement national interprofessionnel des semences). La création de variétés synthétiques consiste à repartir de ces trois individus sauvages, qui existent toujours aujourd’hui, et à les recroiser entre eux. Saaten-Union travaille également avec la société israélienne Kaiima sur la création de variétés de blé polyploïdes via une méthode qui double leur nombre de chromosomes. « Cela nous semble prometteur en termes de rendement et de taux de protéines », reconnaît le Dr Volker Lein. Le sélectionneur allemand a en outre dans ses cartons des blés Ogm.
Il n’est d’ailleurs pas le seul Européen. Florimond Desprez a créé il y a un an, en Amérique du Sud, Trigall Genetics avec la société de biotechnologie Bioceres. « Pour que dans ces pays, le blé redevienne compétitif par rapport au maïs et au soja Ogm, il faut des gains de rendement significatifs, observe François Desprez, Pdg de Florimond Desprez. Bioceres a mis au point la technologie Ogm HB4, qui permet d’accroître la productivité du blé par une meilleure résistance au stress hydrique et à la salinité des sols. Nous espérons, avec notre filiale Trigall Genetics, lancer nos premières variétés HB4 en Amérique du Sud en 2016 ou 2017. »