Peut-on associer patrimoine naturel et patrimoine culturel ?
Dominique Bourg : « Sur le plan culturel, l'idée de patrimoine est associée aux objets, à quelque chose de figé que l'on cherche à protéger et à conserver à l'identique comme lorsqu'on restaure une œuvre d'art par exemple. La notion de patrimoine naturel, en revanche, est assez gênante parce que ce patrimoine est à notre époque très lié à l'intervention de l'homme et ne répond pas du tout à la logique même de ce qui est naturel, surtout à un moment où la nature est prise dans un vent d'accélération. L'idée que l'on pouvait avoir autrefois d'une protection très statique de la nature se fragilise d'autant plus qu'elle est soumise aujourd'hui à des changements violents. »
La notion patrimoine naturel porte donc en elle une contradiction ?« Disons que c'est une notion en crise parce qu'elle est conçue pour un monde stable. Or, l'influence de l'homme est devenue prédominante sur le monde qui l'entoure. Prenons l'exemple de l'agriculture : la variété génétique des plantes cultivées, facteur qui conditionne leur adaptation aux changements, s'est considérablement appauvrie en 60 ans. Les petits paysans d'autrefois qui replantaient leur semences contribuaient indirectement à cet enrichissement. Autre exemple de ces mutations, on découvre aujourd'hui de nouvelles roches qui se forment à partir de nos déchets plastiques. Bref, on va être de plus en plus surpris par l'évolution des milieux qui nous font vivre. »
Comment interpréter cette volonté de notre époque de préserver son patrimoine naturel ?« J'y vois un symptôme, la manifestation d'une inquiétude. Il est étonnant, en effet, de voir comment on "patrimonialise" la nature à un moment où elle devient quelque chose de plus en plus instable. Ce que l'on entend par nature change à la vitesse grand V. Par exemple, un cyclone de catégorie 5 aujourd'hui n'est plus simplement un phénomène naturel parce qu'on sait qu'à cause du réchauffement de la température de la surface des océans, il y a plus de cyclones de cette intensité qu'autrefois. »