Déroger au principe de l’accession du bailleur aux plantations
Bailleur et preneur peuvent prévoir, lors de la conclusion du bail, le développement d’un projet agroforestier sur les terres données à bail.
Ils sont toutefois confrontés à la théorie de l’accession (article 546 du code civil), en vertu de laquelle les arbres plantés sur le fonds loué par le preneur deviennent immédiatement la propriété du bailleur.
La Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises, pour les plantations et les vignes en particulier (1), le principe d’une accession immédiate des améliorations réalisées sur le fonds par le preneur (exception faite des constructions pour lesquelles l’accession semble différer en fin de bail).
Dès la plantation des arbres, le preneur ne dispose donc plus que d’un simple droit de jouissance sur les plantations dont il est l’auteur : il ne pourra arracher les plants, ni même les remplacer par des plants de moins bonne renommée, sans autorisation du bailleur. Ceci se comprend dès lors que l’accessoire (les arbres) suit le principal (le sol).
Pour éviter ces inconvénients, les parties peuvent toutefois déroger au principe de l’accession immédiate puisqu’il ne s’agit pas là d’une disposition d’ordre public (2).
Il est donc possible d’y déroger conventionnellement. Le bailleur, qui profite de cette règle peut donc expressément y renoncer lors de la conclusion du bail ou en cours de bail.
S’il est offert aux parties la possibilité d’écarter l’accession immédiate par une clause spéciale, celle-ci devra être suffisamment précise pour être valable.
Deux types de clauses sont envisageables :
- la clause d’accession différée, en vertu de laquelle le bailleur renonce à son droit d’accession précisant que les plantations resteront la propriété du preneur dès leur réalisation effective jusqu’à la fin du bail et que les arbres pourront être exploités ;
- la double clause par laquelle le preneur est autorisé à couper les arbres en fin de bail, et le propriétaire renonce à l’accession.
La délicate obtention de l’autorisation du bailleur pour réaliser un projet d’agroforesterie en cours de bail
Si le preneur souhaite mettre en place un système agroforestier en cours de bail, il est tenu, tant en vertu de l’article L 411-29 du Code rural et de la pêche maritime que de l’article L 411-73 du même code, de solliciter l’autorisation du bailleur.
En effet, l’agroforesterie peut être considérée comme un moyen cultural au sens du premier article, mais également une plantation au sens du second.
L’article L 411-29 du Code rural dispose que : « Nonobstant les dispositions de l’article 1766 du code civil mentionnées à l'article L 411-27, le preneur peut, afin d'améliorer les conditions de l'exploitation, procéder soit au retournement de parcelles de terres en herbe, soit à la mise en herbe de parcelles de terres, soit à la mise en œuvre de moyens culturaux non prévus au bail. »
Il précise ensuite les conditions dans lesquelles le preneur peut obtenir, à défaut d'accord amiable, un accord judiciaire pour procéder à de tels travaux :
« A défaut d'accord amiable, il doit fournir au bailleur, dans le mois qui précède cette opération, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une description détaillée des travaux qu'il se propose d'entreprendre. Le bailleur peut, s'il estime que les opérations entraînent une dégradation du fonds, saisir le tribunal paritaire, dans un délai de quinze jours à compter de la réception de l'avis du preneur. Le preneur peut s'exécuter ou faire exécuter ces travaux si aucune opposition n'a été formée ou si le tribunal paritaire n'a pas admis la recevabilité ou le bien-fondé des motifs de l'opposition du bailleur ».
A la lumière de ce texte, l’agroforesterie doit être considérée comme un moyen cultural non prévu au bail et nécessitant donc l’accord du propriétaire pour être mis en œuvre. La nécessité d’un tel accord ne peut être sérieusement remise en cause, tant le projet impacte la propriété du bailleur.
Et les modalités d’obtention, par le preneur, d’une autorisation judiciaire apparaissent relativement souples, dans la mesure où le refus du bailleur ne ferme pas définitivement la voie au projet agroforestier du preneur, qui peut encore obtenir le feu vert de la part du juge paritaire, chargé d’apprécier le bien-fondé des motifs de l'opposition du bailleur.
Il en va de même de l’article L 411-73 I. 2° du Code rural qui prévoit que :
« I.- Les travaux d'améliorations, non prévus par une clause du bail, ne peuvent être exécutés qu'en observant, selon le cas, l'une des procédures suivantes : […]
2. Pour les plantations, les constructions de bâtiments destinés à une production hors sol ainsi que les travaux réalisés dans le cadre de la production et, le cas échéant, de la commercialisation de biogaz, d'électricité et de chaleur par la méthanisation, le preneur, afin d'obtenir l'autorisation du bailleur, lui notifie sa proposition. En cas de refus du bailleur ou à défaut de réponse dans les deux mois de la notification qui lui a été faite, les travaux peuvent être autorisés par le tribunal paritaire, à moins que le bailleur ne décide de les exécuter à ses frais dans un délai fixé en accord avec le preneur ou, à défaut, par le tribunal paritaire ».
Même s’ils sont relativement proches, ces deux régimes d’autorisation ne sont pas identiques. Il convient donc de choisir l’un d’eux.
Si l’on retient la procédure de l’article L 411-29, la première phrase de l’article pourrait être ainsi rédigée :
« Nonobstant les dispositions de l’article 1766 du code civil mentionnées à l'article L 411-27, le preneur peut, afin d'améliorer les conditions de l'exploitation, procéder soit au retournement de parcelles de terres en herbe, soit à la mise en herbe de parcelles de terres, soit à la mise en oeuvre de pratiques agroforestières ou de tous moyens culturaux non prévus au bail. »
Et il conviendrait de modifier l’article L 411-73 comme suit :
« Pour les plantations, hormis celles réalisées dans le cadre d’un système agroforestier, les constructions de bâtiments destinés à une production hors sol ainsi que les travaux réalisés dans le cadre de la production et, le cas échéant, de la commercialisation de biogaz, d'électricité et de chaleur par la méthanisation, le preneur, afin d'obtenir l'autorisation du bailleur, lui notifie sa proposition… »
Si l’on retient la procédure de l’article L 411-73, cet article pourrait être modifié comme suit :
« Pour les plantations, notamment celles réalisées dans le cadre d’un système agroforestier, les constructions de bâtiments destinés à une production hors sol ainsi que les travaux réalisés dans le cadre de la production et, le cas échéant, de la commercialisation de biogaz, d'électricité et de chaleur par la méthanisation, le preneur, afin d'obtenir l'autorisation du bailleur, lui notifie sa proposition… »
Saf agr’iDées privilégie la seconde option, qui permet d’uniformiser le système d’autorisation entre les différents types de plantation, quelle que soit leur finalité (production de fruits ou association culture-arbre).
Quoiqu’il en soit, dans une situation conflictuelle, le preneur peut certes obtenir une autorisation judiciaire pour mener à bien son projet, mais il ne pourra en revanche contraindre le bailleur à renoncer à l’accession immédiate des plantations, qui est un droit dont il dispose et dont il est seul en mesure de renoncer. En effet, le juge du bail n’a pas les pouvoirs de le faire renoncer à l’accession, la convention faisant la loi des parties.
Le prix du bail
Il faut différencier entre la parcelle déjà plantée à la conclusion du bail et la parcelle non plantée.
Dans la première hypothèse, une fourchette de fermage spécifique pour l’agroforesterie dans les arrêtés préfectoraux pourrait être prévue pour tenir compte des rendements plus faibles.
Dans la seconde hypothèse, il faut envisager une rémunération qui évolue en fonction de l’évolution des plantations.
En toute hypothèse, les parties doivent au préalable se mettre d’accord sur le partage des produits dégagés par les plantations et leur coupe.
L’indemnisation des améliorations en fin de bail
En matière d’indemnisation de sortie de ferme prévue aux articles L 411-69 et s. du code rural et de la pêche maritime, le statut du fermage envisage l’hypothèse des plantations d’arbres frugifères ou de vignes mais absolument pas les plantations d’arbres ayant une valeur d’avenir dans le cadre d’un système agroforestier.
Dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, l’article L 411-71 dispose en effet que l’indemnité est ainsi fixée :
« 2° En ce qui concerne les plantations, elle est égale à l'ensemble des dépenses, y compris la valeur de la main-d’œuvre, évaluées à la date de l'expiration du bail, qui auront été engagées par le preneur avant l'entrée en production des plantations, déduction faite d'un amortissement calculé à partir de cette dernière date, sans qu'elle puisse excéder le montant de la plus-value apportée au fonds par ces plantations ».
Si la parcelle agroforestière est plantée d’arbres fruitiers, la méthode ci-dessus proposée semble appropriée. En revanche, si elle est plantée d’arbres d’avenir, ce mode d’évaluation n’est pas adapté pour apprécier les améliorations que le preneur a apportées au fonds en restituant en fin de bail des arbres dont la finalité est bien différente de celle de la production de fruits.
Qu’il s’agisse d’arbres fournissant du bois de chauffe, ou d’arbres d’avenir fournissant du bois d’œuvre, la méthode de calcul existante est inappropriée.
Il apparaît donc opportun d’insérer à l’article L 411-71 du code rural et de la pêche maritime une nouvelle disposition prévoyant les conditions dans lesquelles le preneur sortant est indemnisé des arbres qu’il laisse à son départ des lieux loués, en renvoyant au besoin à un arrêté ministériel le soin de fixer les bases de calcul, selon la qualité des arbres et leurs débouchés.