Les dispositions les plus significatives seraient, pour les produits laitiers, en plus des aides au stockage, le relèvement du prix d’intervention, en dépit des très fortes réticences du commissaire Phil Hogan ; pour le porc, l’intensification des négociations pour l’ouverture de débouchés dans les pays tiers, notamment le marché russe pour les produits non soumis à l’embargo politique, ainsi que, éventuellement, le rétablissement des aides au stockage privé ; pour atténuer les problèmes de liquidités des exploitants, des avances sur les paiements directs.
Le moyen terme sera aussi abordé par les Vingt-huit, en particulier la simplification de la réglementation de la Pac et le rééquilibrage de la valeur ajoutée dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire, dossiers auxquels pourraient s’ajouter des appels à une régulation de l’offre pour le lait.
Le Luxembourg, qui assure la présidence semestrielle de l’Union, a avancé, dans une note du 31 août destinée au Conseil, une série de « solutions potentielles » à court et moyen terme qui pourraient être envisagées, « en tenant dûment compte des spécificités nationales » et de « l’orientation vers le marché » de la Pac réformée, lors de la réunion exceptionnelle du 7 septembre à Bruxelles des ministres de l’agriculture des Vingt-huit consacrée à la « situation préoccupante » de certains secteurs, le lait et le porc surtout.
« Venant s’ajouter à l’embargo russe, à la croissance ralentie en Chine, ainsi qu’à d’autres facteurs préjudiciables tels que la sécheresse prolongée cet été, l’effondrement des prix dans certains secteurs, reflet d’un décalage entre l’offre et la demande, a frappé lourdement les agriculteurs européens, exerçant une pression sévère sur leurs revenus », reconnaît la présidence.
Les États membres soumettront eux aussi lors de la réunion des Vingt-huit leurs propositions et demandes, certains d’entre eux s’étant concertés auparavant. La Pologne et la Roumanie comptent de plus souligner les conséquences de la sécheresse sur leurs producteurs.
Quant au commissaire européen Phil Hogan, qui a eu des rendez-vous bilatéraux préparatoires avec plusieurs ministres, il va également présenter un paquet de mesures, tout en tentant d’écarter les revendications qu’il juge contre-productives ou trop lourdes sur le plan budgétaire.
Selon lui, toutefois, ce sont les États baltes et certains pays membres d’Europe centrale et orientale qui connaissent la situation la plus problématique car ils sont les plus touchés par l’embargo russe, qui a été prorogé jusqu’au 5 août 2016.
Anticipation des paiements directs
Pour « atténuer les problèmes de liquidités à court terme des agriculteurs », la présidence luxembourgeoise de l’UE suggère d’« anticiper les paiements directs de décembre à l’automne et d’exploiter toutes les flexibilités en la matière ».
Les ministres de l’agriculture espagnol, français, italien et portugais, qui ont tenu une réunion de concertation le 28 août à Madrid, demandent le relèvement de 50 % du montant des avances sur les paiements directs pouvant être versées à partir de la mi-octobre.
L’Irlande prône aussi l’octroi d’avances à hauteur de 70 % des paiements directs à compter du 16 octobre. Par ailleurs, selon la présidence de l’UE, des financements pourraient être octroyés au titre du Fonds européen pour les investissements stratégiques (le « plan Junker »), notamment pour la modernisation du secteur agricole et l’efficacité énergétique.
Promotion et barrières sanitaires
Les programmes de promotion des produits agricoles de l’UE devraient être renforcés, estime la présidence luxembourgeoise, afin de s’attaquer en particulier aux restrictions sanitaires et phytosanitaires et autres barrières non tarifaires imposées, notamment sur la viande porcine européenne, par des pays tiers tels que la Russie, le Belarus et le Japon, ainsi que par des pays avec lesquels l’Union a signé des accords de libre-échange, à l’exemple de celui conclu récemment avec le Vietnam, ou d’autres accords (le Mexique par exemple). Sur le plan intérieur, la présidence plaide pour un accord rapide sur le régime d’aide à la distribution de lait et fruits et légumes dans les établissements scolaires, avec un budget adéquat.
Le renforcement des campagnes de promotion cofinancées par l’UE est également souhaité par l’Espagne, la France, l’Italie et le Portugal, de même que par l’Irlande surtout pour les produits laitiers et la viande porcine sur les marchés des pays tiers.
Le commissaire européen à l’agriculture ne cesse d’insister, pour sa part, sur l’importance d’ouvrir de nouveaux débouchés.
Lait : intervention...
La présidence luxembourgeoise préconise un relèvement « temporaire » du prix d’intervention des produits laitiers. L’Espagne, la France, l’Italie et le Portugal demandent aussi une augmentation du prix d’intervention limitée dans le temps, les quantités ainsi retirées du marché étant destinées aux personnes les plus défavorisées de l’UE.
De même, l’Irlande prône une hausse du prix d’intervention. « Il faut discuter de la manière dont on accompagnerait un éventuel relèvement du plafond d’intervention », a toutefois déclaré le ministre français de l’agriculture, Stéphane Le Foll, après un entretien, le 31 août à Berlin, avec ses homologues allemand Christian Schmidt et polonais Marek Sawicki.
Quant à Phil Hogan, il est très réticent à l’égard d’une telle augmentation qui, selon lui, nuirait à l’orientation de la Pac vers le marché et à la recherche de nouveaux débouchés.
... aides au stockage...
La présidence de l’UE suggère aussi d’étendre encore plus la période d’octroi des aides au stockage privé que la Commission a déjà décidé de proroger pour la poudre de lait et le beurre de fin septembre à fin février 2016 parallèlement à l’extension de l’intervention automatique jusqu’à fin septembre 2016.
L’Espagne, la France, l’Italie et le Portugal souhaitent de plus, tout comme l’Irlande, que Bruxelles autorise de nouveau l’aide au stockage des fromages. Sur ce dernier point, « la discussion n’est pas terminée », a estimé le ministre allemand à l’issue de sa réunion à Berlin.
... et super-prélèvement
Enfin, la présidence de l’UE considère qu’ « une partie au moins » du super-prélèvement laitier 2014/15 devrait retourner à ce secteur, compte tenu des « contraintes » de budget européen. Une positon partagée par l’Irlande notamment.
Le commissaire à l’agriculture souligne pour sa part que les recettes tirées du super-prélèvement laitier ne peuvent être placées dans un fonds destiné spécifiquement à ce secteur mais permettront en partie de financer la Pac en général et l’aideront à obtenir de la Commission les moyens de prendre des mesures à court terme.
Ces recettes pourraient atteindre, pour les dépassements de quotas 2014/15, quelque 860 millions €.
Viande porcine
L’Irlande plaide pour le rétablissement des aides au stockage privé pour le porc qui avaient été octroyées plus tôt cette année puis suspendues, et, selon elle, avaient joué un rôle utile de stabilisation des prix (8). Cette mesure ne fait pas partie des options avancées par la présidence luxembourgeoise de l’UE dans son document du 31 août.
Phil Hogan fait valoir, de son côté, que le régime d’aide au stockage privé mis en œuvre au printemps dernier n’avait pas vraiment permis « d’adapter les prix ».
L’Union européenne du commerce du bétail de la viande (Uecbv) considère pour sa part, que, « si des soutiens supplémentaires, tels que les aides au stockage privé, peuvent s’avérer nécessaires en l’absence d’une reprise du marché, la priorité pour le moment, et la solution la plus durable, est de progresser sur la suppression des barrières techniques auxquelles sont confrontées les exportations vers la Russie et autres ».
L’UE doit donc, selon l’Uecbv, « intensifier les négociations techniques » avec la Russie pour supprimer les obstacles sanitaires imposés au porc européen pour les produits qui ne sont pas soumis à l’embargo politique, tels que les graisses et les abats, produits que le Canada et les États-Unis sont déjà autorisés à exporter sur ce marché. L’UE, rappelle-t-elle, vendait à la Russie quelque 350 000 tonnes de graisses et abats de porc avant cet embargo sanitaire.
Moyen terme
En plus des dispositions qu’elle suggère pour l’immédiat, la présidence luxembourgeoise recommande au Conseil d’entamer la réflexion sur le moyen terme, notamment sur les questions suivantes : pour le secteur laitier, le rôle futur de l’Observatoire du marché et les marchés à terme ; la transparence et l’équité le long de la chaîne alimentaire, la Commission devant accélérer les travaux en cours sur le partage de la valeur ajoutée, de la production à la distribution ; la simplification de la Pac, la priorité devant être donnée par Bruxelles à la mise en œuvre des dispositions qui ont l’impact le plus direct sur les coûts de production.
Le commissaire européen juge lui aussi nécessaire des adaptations au sein de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, afin « d’alléger la pression exercée par les distributeurs et d’autres » sur les producteurs.