Eurodéputés et États membres se sont entendus mardi sur un cadre européen pour quantifier et vérifier ces absorptions de carbone de tous types, dont Bruxelles fait un levier essentiel pour atteindre ses objectifs climatiques ambitieux. Le texte fixe des critères sur la durée et les conditions de stockage du carbone : charge à la Commission européenne d'établir ensuite des méthodologies détaillées.
L'ONG Carbon Market Watch a aussitôt dénoncé une initiative « pleine de lacunes » et propice au « greenwashing », où, faute de garde-fous suffisants, le captage de carbone pourrait « se substituer » aux efforts de réductions d'émissions de CO2. À l'inverse, pour l'eurodéputée (PPE, droite) Lidia Pereira, rapporteure du texte, la certification « fera de l'UE un leader mondial dans l'élimination du carbone, encouragera les investissements privés et développera les marchés » du carbone sur une base volontaire, en apportant davantage de transparence.
Un cadre harmonisé facilitera la surveillance, les investissements... et ouvre la voie à la commercialisation de crédits carbones. Un coup de pouce pour les industriels qui s'équiperont de ces technologies très onéreuses, mais aussi pour les agriculteurs, qui pourraient engranger des recettes bienvenues alors qu'ils dénoncent bruyamment ces dernières semaines leurs faibles rémunérations.
« Rémunération écologique »
« Une première mondiale : nous permettrons aux agriculteurs d'être rémunérés lorsqu'ils stockent du carbone et réduisent leurs émissions, un véritable système de rémunération écologique », s'est félicité Pascal Canfin, président (Renew, libéraux) de la commission Environnement au Parlement européen.
Certes, la législation vise d'abord les technologies, pas encore opérationnelles à grande échelle, captant le CO2 sur des sites industriels (sidérurgie, cimenterie...) pour l'injecter dans des réservoirs géologiques pour « plusieurs siècles ». Mais des certifications sont également allouées aux constructions en bois prévues pour durer « au moins 35 ans », à la restauration des écosystèmes et aux activités agricoles permettant de stocker le carbone dans des sols, prairies, forêts ou tourbières : absence de labours, cultures de couverture, réduction d'engrais...
Ces pratiques doivent être maintenues « au moins cinq ans » et « ne pas conduire à l'acquisition de terres à des fins spéculatives ». Plus encore : la réduction des rejets de méthane provenant des élevages de ruminants ou de la gestion du fumier, par exemple en modifiant leur régime alimentaire, sera prise en compte à la faveur d'une révision ultérieure prévue en 2026.
Le Copa-Cogeca, puissante organisation des syndicats agricoles majoritaires européens, a salué un « cadre pionnier », qui « pourrait être une réponse aux questions de transition (écologique) et de revenus agricole ». Mais « l'accord n'est pas sans failles », a-t-il regretté, déplorant que l'élevage ne soit pas immédiatement inclus, ainsi que les stricts critères de durabilité imposant aux activités certifiées de « co-bénéficier » à la biodiversité. Pour l'organisation, il faudrait rémunérer ces « cobénéfices » par des « avantages supplémentaires ».
« Surestimé »
L'accord, qui doit être formellement confirmé par les États et eurodéputés, « marque la première étape d'un système fiable et transparent de certification », observe Alejandra Munoz Castaner, du think-tank Clean Air Task Force. Si elle pointe le risque de « dissuasion » des réductions d'émissions, elle salue le « mécanisme de responsabilité » selon lequel les opérateurs devront rendre des comptes si le carbone stocké s'échappe dans l'atmosphère.
Pour l'European Environmental Bureau en revanche, le captage ainsi certifié « ne bénéficiera pas aux propriétaires de terres ni au climat, mais permettra aux industriels de se déclarer "neutres climatiquement" en camouflant leurs émissions » sans les réduire. Certes, la législation prévoit un « registre public » recensant les métadonnées-clés des activités certifiées afin d'éviter les risques de fraude et de double comptabilisation des absorptions : une façon de clarifier les allégations de « neutralité carbone » des entreprises.
Mais « les absorptions, la séquestration et les réductions d'émissions risquent d'être gravement surestimées », d'autant que « le stockage à court terme dans le bois ou dans les sols présente des avantages très limités pour le climat », s'alarme Wijnand Stoefs, de Carbon Market Watch. « Les projets agricoles devraient se concentrer sur la protection et restauration de la nature, plutôt que d'essayer de quantifier les stocks de carbone du sol, non quantifiables et monétisés, incertains et peu fiables », insiste-t-il.