« Monsieur Hogan,
Nous avons suivi avec attention votre audition au Parlement européen et souhaitons vous exposer les motifs de crainte que vos échanges avec les eurodéputés ont suscité chez les agriculteurs français que nous représentons.
Un programme ultralibéral...
Votre orientation libérale est pour nous source d'inquiétude, notamment lorsque vous déclarez que "la suppression des quotas sucre et lait va mettre l'agriculture de l’UE en meilleure situation de répondre aux signaux du marché et aux défis globaux […]. Les marchés internationaux [sont] essentiels pour l'agriculture de l'UE ; ils permettront de maintenir un revenu décent aux agriculteurs".
Vous annoncez au programme de votre mandat de futur Commissaire : orientation sur le marché international pour profiter d’une demande mondiale en hausse, création d’un budget "promotion" pour développer les exportations, signature de traités bilatéraux de libre-échange, en dépit de la concurrence déloyale intra-européenne qui menace déjà la cohésion de l’Union.
Rien sur la régulation des marchés, ni sur la Préférence Communautaire, qui sont pourtant des outils de développement autrement plus adaptés à la mondialisation des échanges agricoles.
...qui a déjà fragilisé l'agriculture
L'expérience passée nous l'a hélas déjà prouvé : la théorie des signaux de marché a été catastrophique pour les agriculteurs, les consommateurs et la sécurité alimentaire. La ruine des agriculteurs européens, le déficit d’installations et les trop nombreux suicides dans la profession démontrent l’échec cuisant de cette politique menée par Ray Mac Sharry en 1992.
Nous vous invitons à vous remémorer les objectifs assignés à la Politique Agricole Commune dans le Traité de Rome :
- sécuriser les approvisionnements alimentaires en quantité et en qualité ;
- équilibrer l’offre et la demande ;
- stabiliser les productions et les marchés (la volatilité mettant à terre de nombreux agriculteurs) ;
- améliorer la productivité de l’agriculture européenne de manière durable ;
- assurer un revenu individuel stable et suffisant aux agriculteurs pour permettre le renouvellement ;
- garantir aux consommateurs un prix raisonnable et stable pour leurs produits alimentaires.
Le constat actuel est sans appel : les réformes successives n'ont jamais servi ces objectifs.
Vous ne pouvez ignorer que l’UE n’est pas autosuffisante et importe chaque année l’équivalent de 34 millions d’ha de produits agricoles. Le déficit en protéines végétales pour l'alimentation animale est particulièrement criant. Hélas, nous ne voyons rien dans la nouvelle Pac 2015-2019 qui soit susceptible de rééquilibrer les productions.
Prendre un nouveau tournant
Lors de la révision à mi-parcours, pour préserver les agriculteurs de l’UE, il sera vital :
- de mettre en place des prix des produits agricoles sur la base de leur réelle valeur économique qui induiraient la disparition des aides et une véritable simplification de la Pac ;
- d’ajuster des niveaux de production en fonction des variations de prix et de réguler les marchés en misant sur la préférence communautaire ;
- de réduire le déficit en protéines végétales en soutenant leur production.
La souveraineté alimentaire de l’UE serait ainsi bien mieux (en quantité, qualité et durabilité) assurée, avec à la clé une économie de 26,5 milliards d’euros pour le contribuable européen et un coût de la Pac ramené à 18,5 milliards.
Voilà un projet ambitieux, à même de répondre aux enjeux de la mondialisation.
Afin d’échanger sur ces sujets, la Coordination Rurale vous propose de vous rencontrer dans les plus brefs délais pour vous exposer le détail de ses propositions et de vous accueillir sur des exploitations où vous pourrez constater par vous-même la réalité des difficultés des agriculteurs.
Nous vous prions de recevoir, Monsieur Hogan, l’assurance de nos sentiments les meilleurs, tous entiers dévoués à la défense de l’intérêt général des agriculteurs européens.
Bernard Lannes
Président de la Coordination Rurale »
