Les agriculteurs pilotent des machines de plus en plus énormes, leur charge de travail s’intensifie et ils doivent faire face à des aléas toujours plus nombreux, climatiques, sanitaires, mécaniques, économiques, de marché, etc., des urgences multiples… « On veut en faire trop, on oublie l’importance de notre corps et la réalité se rappelle à nous », résume Sébastien Neveux, producteur de grandes cultures dans l’Yonne depuis 2019. Cette réalité a été pour lui l’accident sur sa ferme dont il a été victime en 2024 : une machine, qu’il pensait pouvoir retenir seul, a basculé sur lui. Depuis, il veille davantage à sa sécurité et celle de ses salariés, et essaie de se préserver physiquement.
« Au four et au moulin », Amandine Toulza l’a été depuis son installation en agriculture. Si bien, qu’au bout de 7-8 ans, elle « n’en pouvait déjà plus, physiquement et mentalement ». Elle avait pourtant vu ses parents, exploitants agricoles eux aussi, travailler comme des forcenés et en payer le prix. Au bord du burn-out sur son exploitation, elle a réagi à temps. Avec l’aide d’une coach, elle a « appris à gérer le stress, à déléguer et à ne pas en avoir honte ». Elle a compris qu’elle devait se ménager, elle et ses salariés. Elle leur propose des séances de coaching pour améliorer leurs gestes, postures, et décompresser.
Une prise de conscience s’opère, depuis plusieurs années, au sein de divers organismes agricoles. Face aux fréquents problèmes physiques des agriculteurs, et au phénomène plus nouveau du mal-être en agriculture, ils sensibilisent de plus en plus à ces questions, la Mutualité sociale agricole en particulier. Si des équipements, les exosquelettes par exemple, peuvent faciliter le travail, ils ont également leurs limites, faisait remarquer Arnaud Désarménien, conseiller national en prévention à la MSA et ergonome de formation, lors de la conférence sur l’amélioration des conditions de travail en agriculture, organisée dans le cadre du Sia pro au dernier Salon de l’agriculture.
« Un juste équilibre à trouver entre ses capacités et les exigences de l’activité »
Il recommande d’envisager « une stratégie plus globale ». « Le discours a changé : le travail est moins abordé au travers du matériel, et davantage associé à la productivité à laquelle il est fortement lié », explique-t-il, avant d’ajouter : « Difficile de demander à un agriculteur de travailler moins, car ses résultats économiques en dépendent. » Renforcer ses capacités physiques et psychiques peut être intéressant, à condition de se pencher sur le travail lui-même, mais jusqu’à un certain point : « Il faut trouver un équilibre entre les exigences de l’activité agricole et ce que vous, exploitants, pouvez accomplir. » Car les agriculteurs ne sont pas des surhommes, ni superman comme l’image Sébastien Neveux. À trop tirer sur la corde, celle-ci risque de casser.
Arnaud Désarménien invite aussi à s’interroger : « jusqu’à quel point produire plus vaut le coup économiquement par rapport au coût financier et humain ? » Une balance à équilibrer là encore. « Les systèmes d’exploitation sont très exigeants en attention, en performance. Les exploitants se retrouvent dans une course folle. Quand j’étais conseiller d’entreprise agricole, j’étais frappé par leur difficulté à s’écouter et leur facilité à oublier qu’ils ont un corps. Ils sont dans leur propre angle mort, c’est culturel », souligne Benjamin Rolland, coach agricole et membre du réseau Agricoaching.
Or, lorsqu’on est stressé et que l’on a du mal à se ressourcer, on n’arrive plus prendre du recul, ni les bonnes décisions. En plus de la santé et du mental, les résultats technico-économiques et la rentabilité/viabilité de la ferme sont impactés. Benjamin Rolland propose du coaching pour prévenir l’épuisement professionnel, le burn-out, les accidents du travail, les troubles physiques et psychiques.
Les producteurs agricoles font d’abord attention à leurs salariés : ce sont eux qui s’exposent en premier au danger et qui ne comptent pas leurs heures. « Ceux, qui s’installent seuls, ne sont pas obligés de remplir le Duerp, on ne leur impose pas d’évaluer le risque qu’ils encourent, ça en dit long ! », appuie Benjamin Rolland. Comme le fait que jusque dans les années 90, la prévention MSA ne s’adressait qu’aux salariés agricoles ! « Les exploitants doivent comprendre que les conditions de travail sont des conditions de performances », conclut-il.