Maître Blot, est ce que, parmi vos clients, vous avez des bailleurs institutionnels qu’évoquait Jean-Marie mais aussi, des bailleurs intéressés par ce type de bail ? Vous leur avez peut-être proposé un bail cessible… Au-delà de cette nomenclature, est ce que vos clients sont intéressés par ce type de bail, qu’ils soient bailleurs ou preneurs, bailleurs traditionnels ou pas, fermiers qui souhaiteraient constituer leur exploitation en entreprise avec un fonds agricole et un bail cessible ? Qu’est ce que vous leur conseillez ? Qu’est ce qu’ils vous répondent ?
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Dans l’aspect juridique des choses, c’est idéal pour le fermier : il peut transmettre son entreprise. C’est beau. Mais comme tout contrat, il y a accord de volonté et comme tout contrat, il y a des personnes avant tout. Et cette affaire de personnes, c’est l’affaire du propriétaire et du preneur. En droit des sociétés, on appelle cela « l’affectio societatis » : je t’aime et je veux m’associer avec toi.
Le statut du fermage c’est un peu ça aussi : mon fermier, je le connais bien, nous allons travailler ensemble pendant 9ans, 18 ans, 25 ans… Je préconise souvent aux propriétaires de faire des baux ruraux à long terme. Après tout, que le bail soit conclu pour 9 ans ou pour 18 ans, il y a des différences, mais autant prendre 18 ans. La difficulté du bail cessible est la problématique de l’indemnité d’éviction. De plus, un certain nombre de propriétaires veulent conserver la possibilité que leurs enfants puissent récupérer les terres pour… pourquoi faire, j’en sais rien, mais ils aimeraient avoir cette possibilité là. La semaine dernière encore, un bailleur a préféré un bail de carrière : le preneur en a bien compris les tenants et les aboutissements. Ils ont donc signé un bail de carrière. Pourquoi ? Le propriétaire m’a dit qu’il souhaitait récupérer ses terres pour ses enfants à la fin du bail…
Le bail cessible c’est aussi une histoire de personne. A la conclusion d’un bail, le propriétaire fait un pacte avec le preneur : je te connais, j’ai confiance en toi, je sais que tu vas bien travailler la terre, je sais que tu vas me payer, je sais que si j’ai besoin d’un coup de main, tu pourras m’aider. La difficulté de la cessibilité est là : à un moment donné, le propriétaire se retrouve avec une autre personne qu’il n’a pas forcément voulu. Là, ça coince. Côté preneur, ça coince aussi. Le bailleur demande un peu plus sur le loyer, en contrepartie de la cessibilité. Lorsqu’on commence à demander 300 € pour une terre dans notre département et quand bien même elle serait cessible, le fermier se demande quel choix, quel sacrifice va-t-il devoir faire en contrepartie : combien de vaches il va falloir que je vende là, pour y arriver ? Cette notion économique du bail cessible est un obstacle. En 7 ans d’exercice de notaire installé et en 25 ans de carrière, j’ai rédigé un seul bail cessible, qui était aussi une affaire de personne. C’est la réalité des chiffres.
Je trouve la notion de fonds agricole formidable en elle-même parce qu’elle laisserait beaucoup de liberté au preneur. Une grande liberté. Si on arrivait à trouver quelques nouveautés sur ce bail cessible à insérer dans la loi, je pense que ce serait quelque chose de très bien pour la profession. Cela vous donnerait beaucoup de souplesse. Mais on ne peut pas oublier que cette difficulté a toujours existé entre propriétaires et fermiers et qu’elle reste ancrée de façon très forte encore aujourd’hui, même si, vous le disiez tout à l’heure, il n’y a pas beaucoup de contentieux. Essayons peut-être de trouver une solution économique à adosser à cela : pas facile de répondre à la question.
Autre point sur la notion d’investissement sur les terres dont parlait Jean-Marie tout à l’heure : je constate quotidiennement, qu’à cause du manque de rentabilité des terres pour un propriétaire, beaucoup veulent s’en séparer. Un delta est en train de se créer aujourd’hui qui n’existait pas, il y a 3-4 ans : la fiscalité de la taxe foncière a augmenté. Forcément, le propriétaire paie plus de taxes. Parallèlement à cela, la rentabilité a chuté de façon significative. S’est crée un phénomène de vente de terres par les propriétaires en faveur de leur fermier ou de terres libres. Ca je l’ai constaté de façon assez significative. A côté de cela, autre phénomène qui lui, arrive depuis 4-5ans, c’est celui du « retour à la ferme » des citadins si je puis dire : nous avons beaucoup de demandes et une énorme pression foncière émanant des particuliers qui recherchent le lopin de terre. La requête un peu caricaturale, qui revient régulièrement est un îlot, de 3.000m² à vendre pour faire des patates et des carottes ou planter des arbres. On a déjà une consommation forte en matière commerciale, autour des villes avec les lotissements, et maintenant, arrive cette concurrence du privé sur la terre libre. L’investissement des particuliers sur le foncier agricole pour le louer en tant que tel, honnêtement, je n’en ai pas. Des parisiens, de temps en temps, m’appellent pour savoir si j’ai de la terre libre pour investir. Mais quand on commence à parler de prix de terres, ça coince, sans parler de rentabilité. Voilà ma pratique au quotidien.
Merci Maître. Jean-Marie, tu as dis que le fonds agricole et le bail cessible sont étroitement liés. La Loi de Modernisation de l’Agriculture et de la Pêche (Lmap) de 2010 est revenue sur les modalités qui entourent la conclusion d’un bail cessible hors cadre familial. Elle a prévu notamment la possibilité du paiement d’un droit au bail. La Lmap a également précisé les modalités de rémunération : désormais, nous devons nous baser sur les baux à long terme. La majoration possible dans le cadre d’un bail cessible était de 50 % maximum. Est-ce que ces éléments qui permettent de mieux rémunérer l’investisseur, vont être un élément déclencheur pour la conclusion de baux cessibles et de leur corollaire, des fonds agricoles ?
JM. Gilardeau : Peut-être, cela pourra être un élément déclencheur mais j’y reviendrais tout à l’heure…
Concernant ce manque de succès des baux cessibles et du fonds agricole, je me demande s’il n’y a pas un manque de connaissance des intéressés. Nous pourrions faire un test parmi les agriculteurs potentiels qui s’installeront demain et parmi les propriétaires, qui vont être les partenaires potentiels de ceux-là : qui connaît ces éléments là ? Il y a là un vrai travail à faire. Ce bail cessible et ce fonds n’ont pas eu de chance : ils sont tombés à une époque où le monde agricole avait d’autres préoccupations. 2006, c’est l’année pendant laquelle les Dpu sont entrés en vigueur : bien sur, tout le monde s’est focalisé sur la question et avec raison. Aujourd’hui, la société a tendance à se focaliser sur l’immédiat. Autrement dit, on prend en considération les aspects économiques, les aspects fiscaux, les aspects sociaux de l’entreprise mais on ne se soucie peu ou pas assez de l’aspect structuration juridique de l’exploitation qui est indolore si elle n’est pas réussie dès le départ mais provoquera des désastres malheureusement plus tard.
A l’heure actuelle, j’ai le sentiment que l’on délaisse le moyen et le long terme au profit du court terme. Autre élément peut-être purement conjoncturel, mais le bail cessible souffre du handicap d’être un acte nécessairement notarié. Tout ceux qui gravitent autour du monde agricole et qui ne sont pas notaires, ne vont tout de même pas s’empresser de conseiller à leur client de conclure un bail cessible, qui ensuite demanderont à leur notaire de réaliser cet acte, alors que ces premiers peuvent faire des actes qui ne sont pas des baux cessibles. Je n’incrimine personne. Michel, tu as dit que j’étais un adepte de la libre pensée et je ne m’en prive pas.
J’en viens maintenant à ta question : le bail cessible a comme caractéristique d’être dans la logique de commerce c'est-à-dire que le titulaire peut le transmettre à qui bon lui semble. Et dès l’instant où « quelque chose » est dans le commerce, ce « quelque chose » a une valeur. Ne demandez pas aux juristes de déterminer cette valeur. La valeur c’est ce que quelqu’un veut bien payer pour ce « quelque chose » à un moment donné. Je ne suis, on ne peut plus libre là-dessus : si quelqu’un veut donner 100 pour acheter un bail, il donnera 100, si un autre propose 150, il proposera 150. Il n’y a pas de barème, il n’y a pas de réglementation, c’est un marché totalement libre. Les bailleurs s’en sentent lésés : puisque le bail a une valeur lorsqu’il est consenti, pourquoi est ce que moi, bailleur, au moment où j’accepte de conclure ce bail, je ne pourrai pas percevoir une somme d’argent ? Le bailleur donne à quelqu’un un droit qui a une valeur, et le locataire peut dans les mois qui suivent le bail cessible, le céder et empocher le prix dont je vous parlais tout à l’heure. Pour le propriétaire, il lui semble assez logique qu’il puisse lui aussi empocher cette somme d’argent. Peut-être que ça débloquerait la situation de l’indemnité d’éviction.
Pour ce qui est du loyer, il est dit que le fermage du bail cessible est augmenté de 50 % : que les choses soient bien claires, il n’en est rien. C’est la fourchette dans laquelle doit impérativement s’inscrire le loyer qui est augmenté. Prenons un exemple, que vous compreniez : je suis dans un département où le loyer pour un bail ordinaire, est de 100 € hectare. Pour les baux à long terme, l’arrêté préfectoral permet d’ajouter 20 % donc le maximum devient 120. Pour les baux cessibles, on nous dit que ce maximum est augmenté de 50 %, sachant qu’il ne faut pas prendre le maximum des baux ordinaires mais le maximum des baux à long terme donc dans mon cas, le maximum dans mon département est égal à 180 €. Maintenant, 180 € est le maximum légal. Le montant du loyer résultera de la négociation entre le bailleur et le preneur : celui-ci sera peut-être de 160, de 120 ou de 90 € et ça sera légal. Donc, attention, il pourra éventuellement y avoir une augmentation du loyer mais tout dépendra des relations entre bailleurs et preneurs.
Me Blot : Jean-Marie, je suis d’accord avec toi mais quand j’ai été confronté à ce problème là, le propriétaire me rétorque qu’il ne gagnera rien. Il s’agit d’un problème de rentabilité. Au quotidien, nous sommes dans une fourchette autour de 130 à 180 €. Si on augmente à 200-250 €, le fermier ne sera pas d’accord. C’est logique.
JM. Gilardeau : je ne dis pas le contraire, c’est normal. C’est là que le bail cessible devient intéressant : par exemple, dans le Centre, l’Indre plus exactement, des investisseurs étrangers arrivent, avec des millions d’euros et désirent trouver de la terre car celle-ci est moins chère en France. Ils sont persuadés que rapidement cela va exploser et misent sur la plu value. La location de ces terres n’est pas leur problème : leur problème c’est l’investissement.
Lorsqu’on aura une logique d’investisseur similaire, le bail cessible fonctionnera. Vous comprenez bien que cet investisseur n’a surtout pas envie de se retrouver avec une terre qu’il doit mettre en valeur. Là, le bail cessible a une potentialité considérable : car au bout de 3 ans, la Safer ne peut plus intervenir par son droit de préemption, et le locataire a toujours un droit de préférence mais n’a plus la possibilité de contester le prix. Autrement dit, si la valeur de la terre a été multipliée par 2 ou par 3, personne ne pourra empêcher ces investisseurs d’empocher la différence, au bout de 3 ans.
Me Blot : Il est difficile de faire comprendre la cessibilité. Il y a quelques temps, j’ai eu un cas extraordinaire et malheureux pour un client, un fermier : un cas de cessation d’activité sur une entreprise qui tenait la route avec du matériel, suffisamment de quotas, qui fonctionnait bien. Le fermier décide d’arrêter. Un jeune qui s’installait était intéressé pour reprendre cette ferme dans le cadre d’un agrandissement familial. Le propriétaire a attendu tranquillement que le fermier en place lui envoie son congé. Ensuite, il a mis ses terres devenues libres, en vente à un prix plus élevé. Heureusement que la famille du jeune avait les moyens, heureusement que la Safer s’en est mêlée… Nous avons réussi à éviter une dilapidation et un démantèlement de cette ferme qui tenait la route, contribué à réaliser un agrandissement familial et de surcroît, donner un salaire à un jeune qui s’installait. Si on avait eu la cessibilité du bail, cela aurait été un vrai bonheur. Il y a peut-être plus simple que la cessibilité des baux : au lieu de faire des baux traditionnels au fermier individuellement, faisons des baux directement aux sociétés. C’est une piste. Si on avait eu un bail au profit de la société, on aurait cédé l’entreprise avec une autre notion, la notion de fonds agricole, voyez-vous...