En stockant l'eau, en permettant la croissance des plantes et en participant au cycle du carbone, les sols sont une composante essentielle de la vie terrestre, particulièrement menacés par les activités humaines.
Dans les montagnes, « la pente, le climat, l'altitude, la température » les rendent « très fragiles, très sensibles à des petites variations et donc facilement dégradés », souligne auprès de l'AFP William Rapuc, sédimentologue au laboratoire Environnement dynamique et territoires de la montagne (CNRS/Université Savoie Mont Blanc) et principal auteur de l'étude publiée dans PNAS.
Les auteurs ont prélevé une carotte de sédiments au fond du lac du Bourget (Savoie) pour reconstituer 9 500 ans d'histoire des sols environnants. Ce lac de 44,5 km2 est un terrain d'étude idéal car alimenté par un des plus grand bassin versant des Alpes européennes, s'étendant du massif du Mont Blanc jusqu'aux plaines de la vallée de Chambéry.
Au début de l'Holocène, après la dernière grande période glaciaire, les sols s'y sont développés « pendant quasiment 6 000 ans », raconte M. Rapuc. Avant une « première crise érosive, il y a 3 800 ans ».
Grâce à l'analyse d'isotopes du néodyme et du lithium, ainsi que de l'ADN et du pollen piégés dans les sédiments des lacs environnants, les géologues sont parvenus à déterminer que cette crise avait affecté des zones de haute altitude, entre 2 et 3 000 mètres. Et qu'elle était déjà due... à l'homme.
A l'époque, les petites communautés de l'âge du bronze qui peuplent le massif développent le pastoralisme et déboisent pour faciliter le déplacement des bêtes.
« Quand on enlève la couverture végétale et qu'on laisse passer des troupeaux, on dégrade très facilement ces sols qui sont très fragiles », explique M. Rapuc. « Ce sont de petites activités localisées », mais qui ont « entraîné une augmentation par deux de l'érosion des sols sur cette période-là ».
Trois crises
De la fin de l'époque romaine à l'époque contemporaine, deux autres crises érosives dues à l'homme ont ensuite affecté les sols de moyenne et de basse montagne, à la suite du développement de l'agriculture et de nouvelles techniques, comme l'emploi de la charrue.
Dans leur ensemble, les activités agro-pastorales ont accéléré l'érosion des sols alpins à un rythme 4 à 10 fois plus rapide que leur formation naturelle.
En quelques millénaires seulement, elles les ont ramené à un état proche de celui de l'Holocène ancien. Alors que sur cette période de 10 000 ans, le climat n'a induit que des « changements minimes », souligne l'étude.
Les chercheurs ont comparé ces données avec celles provenant d'autres régions du monde et découvert que l'accélération de l'érosion des sols de montagne par les activités humaines n'a pas débuté partout au même moment. Dans les Andes, elle remonte à entre 2 400 et 1 900 ans. Et seulement au 19e siècle en Amérique du Nord.
Dans les Alpes, les scientifiques ont en revanche constaté que l'érosion « se stabilise voire diminue » depuis 150 ans, et que les sols « commencent à se développer à nouveau ».
Un « redéveloppement très léger », alors qu'il a fallu « au moins six millénaires » après la fin de la dernière ère glaciaire pour « que les sols atteignent un état à peu près stable », précise M. Rapuc.
Qui attribue cette évolution à une combinaison de facteurs : comme l'exode rural à partir de 1850 et la forte baisse des surfaces agricoles qui y est associée, ou la fin du petit âge glaciaire à la même période qui a favorisé la reprise de la végétation et la remontée des arbres en montagne. Mais aussi, la « mise en place de politiques de gestion » des sols, note le scientifique, qui souligne leur importance pour préserver « une ressource essentielle pour nos sociétés ».