Avec l’accumulation des difficultés économiques, certains agriculteurs engagés dans une phase de liquidation judiciaire auraient davantage intérêt à céder l’exploitation alors qu’elle "tourne" encore, plutôt que de tenter coûte que coûte un plan de continuation. Un plan qui n’offre très souvent aucune garantie, à moyen et long terme, sur la capacité à faire face aux échéances du plan. Ainsi, un agriculteur se trouvant en procédure collective doit bien réfléchir sur l’opportunité bien réelle de céder les actifs pendant la période d’observation et éviter de devoir "brader" ces actifs après l’arrêt d’activité.
Les conseils qui ne sont pas le plus souvent des avocats praticiens se complaisent à privilégier à outrance l’établissement d’un plan de continuation alors même qu’il est impossible de garantir sur une période supérieure à 10 ans une pérennité de l’excédent brut d’exploitation permettant d’assurer le paiement des échéances.
En fait, une cession d’actifs pendant la période d’observation présente un réel intérêt patrimonial, car les actifs sont mieux valorisés. En laissant s’achever la période d’observation, de nombreux agriculteurs sont surpris, tardivement, de constater la valeur dépréciée de ces actifs et se mettent eux-mêmes en difficulté pour une cession dans les meilleures conditions possibles.
En pratique, il est évident que la valeur des actifs peut être largement supérieure au passif. L’agriculteur peut récupérer une partie du prix des actifs cédés. Même en période de liquidation judiciaire, une exploitation agricole en difficulté sera mieux valorisée qu’après la liquidation.
Même en période de liquidation judiciaire, une exploitation agricole en difficulté sera mieux valorisée qu’après la liquidation.
L’intérêt économique présenté par une telle cession doit être d’autant plus privilégié que tous les créanciers peuvent être désintéressés.
Je tire ces conclusions de l’analyse d’un arrêt de la Cour d’appel de Versailles rendu le 31 mars 2016. Cet arrêt apporte des précisions notables pour la période de liquidation judiciaire d’une exploitation agricole individuelle. Il met surtout en lumière l’énorme gâchis engendré par des règles archaïques du droit rural venant dénaturer les procédures collectives agricoles.
Dans cette affaire, l’agriculteur avait été mis en liquidation judiciaire par jugement rendu par le TGI de Chartres du 11 juin 2013 avec fin d’activité fixée au 31 octobre 2013. Le liquidateur désigné a fait preuve d’audace : il a proposé après le 31 octobre 2013, et non avant cette date, la cession de l’exploitation agricole en cours de liquidation judiciaire. Il a donc reçu des offres et a saisi, en mars 2014, le juge commissaire près le Tribunal de grande instance (TGI), et non le tribunal lui-même, pour obtenir l’autorisation de cette cession.
La cession a été autorisée par ordonnance du juge commissaire un mois plus tard. Les parents et oncle de l’agriculteur en liquidation judiciaire, qui étaient aussi bailleurs d’une partie des terres de l’exploitation, ont fait appel de l’ordonnance : les parents préféraient vendre leurs parcelles non occupées, l’oncle souhaitait qu’un autre neveu reprenne ses terres en bail.
Eviter la dépréciation des actifs
Cette affaire soulève plusieurs points : d’abord, se pose la question de la compétence du juge commissaire pour donner l’autorisation d’une cession d’une exploitation agricole pendant la liquidation judiciaire après arrêt d’activité. Ensuite, quel était le sort des baux ruraux attachés aux actifs cédés ? Cette difficulté était d’autant plus préoccupante que la surface de l’exploitation cédée était composée de plus de deux tiers de baux ruraux à long terme. Troisièmement, est-il permis au juge commissaire d’ordonner le transfert des baux ruraux à un nouveau preneur différent de l’acquéreur retenu ? Enfin, est-il possible que ce même juge commissaire puisse exclure des opérations de cession les baux ruraux consentis au preneur liquidé ?
La Cour d’appel de Versailles n’a même pas cherché à approfondir tous ces points. Elle a appliqué la méthodologie de travail d’un juge administratif, davantage concentrée sur l’économie de moyens.
Son raisonnement est simple : selon le code rural, le principe d’interdiction de la cession du bail rural est d’ordre public. Mais une dérogation est accordée par l’article L 642-1 du code rural en cas de liquidation judiciaire du preneur sous certaines conditions : la cession d’un ensemble d’éléments d’exploitation essentiellement constitué du droit à un bail rural peut intervenir en cas de maintien de l’activité autorisée par le tribunal. Dans la situation présente, le caractère incessible du bail rural s’impose au juge-commissaire saisi de la requête en cession d’actifs de la liquidation.
Le juge commissaire a donc commis un excès de pouvoir en incluant la cession des baux ruraux dans la reprise des actifs de la liquidation. L’annulation de l’ordonnance s’impose.
« Un liquidateur de Neuilly-sur-Seine pour gérer un dossier agricole dans le Perche »
Et par l’effet dévolutif de l’appel, la cour d’appel statue sur la requête du liquidateur qu’elle rejette, car la cession d’actifs de la liquidation envisagée par le liquidateur emporte la cession de quatre baux ruraux. Compte tenu du caractère incessible des baux ruraux et du fait que les offres de reprise ont porté sur l’ensemble des actifs de la liquidation visés par la requête, les dispositions de l’article L 642-1 relatives à la cession d’entreprise ne sont pas applicables à la liquidation judiciaire de l’agriculteur au moment où le liquidateur a présenté sa requête.
Par ailleurs, la cour a rappelé au liquidateur que seul le tribunal est compétent pour donner une telle autorisation et non le juge commissaire.
Avant même ces erreurs qui ont finalement porté préjudice au producteur en liquidation, subsiste un autre problème fondamental : le tribunal de grande instance de Chartres a désigné un liquidateur installé à Neuilly-sur-Seine pour gérer un dossier agricole dans le Perche sans s’assurer que ce praticien, par ailleurs hautement spécialisé en industrie, dispose des connaissances suffisantes en droit rural et en procédures collectives agricoles.
Quant à la cour d’appel de Versailles, il est totalement incohérent qu’elle ait appliqué le régime général des procédures collectives sans trancher l’affaire au plus vite alors qu’il existait un cheptel de vaches allaitantes et des parcelles de cultures. La procédure d’appel a duré près de deux ans. Une catastrophe pour une activité agricole ! Depuis deux ans, certaines parcelles ne sont plus cultivées. Et il n’y pas eu de déclaration Pac.