« Très souvent associé à la régénération d’états structuraux altérés, le travail du sol, précise Jean Roger-Estrade, professeur d’agronomie à AgroParisTech, joue en fait un rôle bien plus complexe dans l’itinéraire technique, et ses conséquences sur la production végétale et l’environnement sont très importantes. La diversité des systèmes s’explique par cette nécessité de faire face à de nombreux risques agronomiques, dont la maîtrise est rendue plus délicate par la suppression du labour, tout particulièrement lors des premières années du changement : altération de la structure après des récoltes en conditions humides, défaut de nivellement, présence de résidus en surface qui nuisent à la précision des semis et entraînent la prolifération de certains pathogènes, maintien ou augmentation des populations de mauvaises herbes, baisse de l’efficacité de certains herbicides… »
Le travail du sol affecte l’ensemble des composantes de la structure
Pour Jean Roger-Estrade, il est impossible de trancher en faveur d’une technique plutôt qu’une autre. « Quelle que soit l’approche choisie, la variation des états obtenus est très large. Il est très difficile d’établir un bilan positif ou négatif, entre labour et non-labour. En tout cas, il ne faut pas les opposer. »
Le sujet n’en est pas moins crucial. « Parmi toutes les techniques culturales, le travail du sol a un statut particulier : il agit sur l’ensemble des composantes du profil cultural (physiques, chimiques et biologiques), de manière directe et indirecte (via la structure), donc fait évoluer l’état de la parcelle cultivée avec des conséquences sur la production végétale et l’environnement. Et ce, alors que les propriétés qui découlent de la structure du sol déterminent non seulement les conditions de développement des cultures (germination, levée, croissance et fonctionnement des racines) mais aussi d’application des techniques culturales (portance, efficacité de l’action des outils…), tout comme une part importante de l’impact des systèmes de culture sur l’environnement (pollutions, érosion, maintien de l’activité biologique, de la biodiversité). » La boucle est bouclée.
Certaines espèces préfèrent le travail profond
Une analyse de l’état de la structure à un instant t revient à faire le bilan entre les actions positives et négatives sur la porosité structurale. « Les expériences le montrent. Quel que soit le système, labour ou non-labour, le bilan peut être très positif ou très négatif, précise Jean Roger-Estrade. Les conditions d’intervention sont déterminantes dans l’évolution de la structure, plus que le type de travail du sol. »
En revanche, la structure du sol se régénère plus ou moins rapidement selon la technique. « La régénération est plus lente en non-labour, d’où la nécessité de ne recourir à cette pratique que lorsque l’état structural s’y prête et d’éviter ensuite les tassements. » Autrement dit, le retour à la normale à partir d’un état dégradé est plus long en non-labour. Le point majeur reste qu’il n’y a pas de lien direct entre le type de travail du sol et la qualité de sa structure.
« Le choix de tel ou tel procédé de travail du sol, explique Gilles Sauzet du Cetiom, se fait à l’échelle du système selon les cultures, les intercultures et la possibilité ou non de travailler la structure à tel ou tel moment. » En pratique, travailler le sol, c’est trouver des compromis, évaluer et hiérarchiser les facteurs limitants, agir en fonction des séquences climatiques et enfin adapter les techniques à la succession des cultures et à l’interculture. « Le travail profond convient bien à certaines espèces, comme le tournesol et le pois. Mieux vaut privilégier le travail du sol dans les intercultures longues (blé-orge, céréale-tournesol) et le limiter dans les courtes (orge de printemps-colza, tournesol-blé). Certaines rotations (colza-blé) favorisent les levées d’adventices, et donc leur destruction, d’autres non (orge-colza). Partant de ces constats, il paraît opportun d’alterner autant que possible les méthodes d’implantation en fonction du contexte pédologique (sols argileux ou non) et de la pression des bio-agresseurs (adventices, mulots). »