L’allongement des rotations des exploitations céréalières pose la question des débouchés pour les cultures de diversification, notamment les légumineuses. Les acteurs du programme de recherche Cer’el, qui vise à étudier et développer les échanges entre éleveurs et céréaliers au sein des territoires, constatent un intérêt croissant pour la vente directe, de façon ponctuelle souvent, mais aussi pérenne. « La résistance aux herbicides des ray grass ou des vulpins, comme la stagnation des rendements dans les systèmes colza-blé-orge et colza-blé-blé, poussent les céréaliers à rechercher de nouveaux marchés ou clients », explique Alexandre Dumontier, le coordinateur du projet.
Aujourd’hui, la vente directe des céréales, très réglementée, doit passer par un organisme stockeur, seul habilité à reverser les taxes. Mais l’administration tolère celle de récoltes sur pied, à condition que les cultures soient à l’état de fourrage. Les protéagineux, peu valorisés et souvent très chers pour les éleveurs, se prêtent bien à cette pratique. Les intérêts sont doubles : agro-écologiques d’abord, puisque la production est commercialisée en circuit court ; économique ensuite, car en réduisant les intermédiaires, éleveurs et céréaliers y gagnent financièrement. Reste pour les deux parties à fixer le prix de vente, qui repose sur un accord de gré à gré.
7 ha de féveroles, 9 ha de triticale-pois
À cheval entre les départements de la Vienne et de l’Indre-et-Loire, Éric Givelet, céréalier bio, vend depuis 2010 sa récolte de protéagineux à Norbert Doedens, un éleveur bio de vaches laitières frisonnes. Les deux exploitations sont situées à 4 km l’une de l’autre, sur les communes de Buxeuil (86) et des Ormes (37). La SAU d’Éric compte 84 ha avec, pour rotation type, trois années de luzerne, blé, maïs, triticale-pois, féverole, blé, maïs ou tournesol, triticale-pois. Le céréalier transforme dans son moulin 35 t de blé par an et commercialise sa farine dans sept magasins, dont quatre bio, et à des boulangers. Il vend également sa luzerne sur pied à un autre agriculteur, qui déshydrate à la ferme.
« Norbert m’a sollicité en 2010 après avoir acheté du soja chinois bio, qui n’était pas bio en réalité. Il voulait savoir d’où venait la nourriture de ses vaches. Il était intéressé par de la féverole et un mélange de triticale et de pois. Je ne faisais que du triticale pur, alors j’ai décidé de démarrer le mélange. Je n’ai pas été déçu. Mon rendement a augmenté de 30 % d’un coup grâce à l'association ! Avant, je ne voyais pas l’intérêt de mélanger le triticale avec du pois », insiste Éric. Cette année, le producteur cultive 7 ha de féveroles et 9 ha de mélange triticale-pois pour Nobert. Il se cale au plus près des besoins de son voisin. Les campagnes où celui-ci n’achète pas toute sa production, Éric vend le surplus aux coopératives locales. L’éleveur, qui possède seulement 19 ha de terres labourables, achète des matières premières dont il connaît la provenance.
Le prix d'acompte majoré de 50 euros
Pour calculer le prix de vente des protéagineux, Éric et Norbert se sont mis d’accord : ils se basent sur le prix d’acompte de la coopérative hors complément de prix, qu’ils majorent de 50 €. « Pour le mélange, nous comptons le ratio triticale/pois sur 1 kg de grains et nous estimons le poids d’impuretés qui sera déduit de la facture. Cette part est difficile à évaluer mais nous ne voulons pas ce que soit une source de conflit entre nous », explique le céréalier. Le prix fixé par Éric et son voisin est stable depuis 2008. Autre avantage : les graines cassées ne posent aucun problème à Norbert, alors qu’elles seraient décotées en coopérative. « La vente directe de protéagineux fonctionne bien en production bio puisque la filière bénéficie d’un prix rémunérateur. En conventionnel, ces cultures restent un peu plus risquées. Il faut arriver à définir un complément de prix de manière à rester en-dessous du prix du négoce. »