A quelques jours du salon de l'agriculture, prévu à partir du 22 février à Paris, le Parlement peut-il apaiser la grogne du secteur ? La chambre haute s'y emploie en examinant successivement deux textes de loi.
Le premier, très clivant, est une proposition de loi de la droite visant à « lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur ». Sa mesure phare : la réintroduction de l'acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes interdit en France mais autorisé ailleurs en Europe. Les sénateurs s'y penchent dès lundi après-midi et le gouvernement, à la dernière minute, a choisi de s'opposer à cette mesure, alors qu'il soutient globalement l'ambition générale de ce texte de loi.
A partir du 4 février, ils s'attaqueront à un autre gros morceau : le fameux projet de loi d'orientation agricole, déposé début 2024 après plusieurs semaines de mobilisation des agriculteurs à travers la France.
Adopté par l'Assemblée nationale au printemps, il a été suspendu puis repoussé, par la dissolution puis la censure du gouvernement Barnier.
Reconduite à la tête du ministère de l'agriculture, Annie Genevard a promis d'avancer au plus vite sur ce bloc législatif. Les syndicats agricoles, FNSEA et Jeunes agriculteurs (JA) en tête, l'avaient appelée dès le mois de décembre à « assurer une continuité sur les dossiers agricoles » et « honorer les engagements tenus depuis plus d'un an ».
« Urgence »
Ces enjeux parlementaires accompagnent également un rendez-vous clé pour le secteur : la clôture du scrutin pour les élections aux chambres d'agriculture, prévue le 31 janvier.
Les résultats sont attendus officiellement le 8 février au plus tard, avec la question de savoir si l'hégémonie de l'alliance FNSEA-JA, aujourd'hui à la tête de 97 chambres sur 101, sera ébranlée par les autres organisations qui ont gagné en visibilité ces derniers mois.
Dans ce contexte sensible, la majorité sénatoriale, une alliance droite-centristes, souhaite apparaître comme une alliée de poids au monde agricole avec l'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de loi « anti-entraves ».
« La ferme France est en situation d'urgence. On est à la croisée des chemins pour redonner à l'agriculture française sa capacité à produire et entreprendre. Cela passe par lui donner les mêmes armes que nos voisins », affirme auprès de l'AFP l'un des coauteurs du texte, Franck Menonville (UDI).
Avec le sénateur Les Républicains Laurent Duplomb, un proche de Laurent Wauquiez, il propose ainsi de réintroduire en France l'acétamipride, un pesticide nocif pour les pollinisateurs qui est utilisé dans plusieurs autres pays de l'UE, notamment sur la betterave ou la noisette.
« D'interdits en interdits, de contraintes en contraintes, d'entraves en entraves, de surtransposition en surtransposition, tout devient impossible », s'est justifié M. Duplomb en ouverture des débats.
Mais le travail de conviction des sénateurs n'a pas fait mouche au gouvernement : via un amendement déposé à la dernière minute, l'exécutif a choisi de demander la suppression de cette mesure précise, la ministre Annie Genevard appelant à « bien mesurer (ses) implications pour la santé et l'environnement, pour la protection des cultures et la souveraineté alimentaire », soulevant aussi un risque d'inconstitutionnalité.
En revanche, des compromis gouvernement-Sénat semblent émerger sur les autres mesures du texte : facilitation de construction de réserves d'eau et de bâtiments d'élevage, fin de la séparation entre vente et conseil pour les produits phytosanitaires, épandage de phytos par drone...
Le gouvernement a d'ailleurs activé la procédure d'examen accélérée sur ce texte, pour permettre son adoption au plus vite au Parlement.
« Attaque contre l'environnement »
L'examen au Sénat promet d'être agité, avec une opposition résolue de tous les groupes de gauche, qui dénoncent un « recul environnemental majeur ».
« On assiste là à une offensive très forte des tenants de l'agriculture productiviste et chimique. Tous les acquis gagnés de haute lutte depuis 20 ans sont remis en cause », s'indigne auprès de l'AFP le sénateur écologiste Daniel Salmon.
Dans un communiqué, Greenpeace a également dénoncé « une attaque contre l'environnement et l'avenir de l'agriculture », appelant les sénateurs à s'opposer au texte.
Les débats s'étendront la semaine suivante sur la loi d'orientation agricole, nettement remaniée par la droite en commission. Outre des dispositions sur la formation et la transmission des exploitations, ce texte vise notamment à placer l'agriculture au rang « d'intérêt général majeur ».
Le Sénat entend même aller plus loin en y associant un principe de « non-régression de la souveraineté alimentaire », en réponse au principe de « non-régression environnementale » déjà existant.