Quelle image la télé-réalité renvoie-t-elle de l’agriculture ?

Relancée hier soir avec la diffusion des portraits de la nouvelle saison, l’émission « L’amour est dans le pré » de M6 enregistre une audience de plus en plus forte depuis sa création en 2005. La « saison 4 », la dernière en date diffusée en juillet 2009, a enregistré entre 4 et 5 millions de téléspectateurs, selon Benjamine Fajeau, productrice des trois premières saisons. Mais qu’est-ce qui fait donc ce succès auprès du « grand public »? Est-il lié au fait que l’émission soit tournée dans le monde agricole ? Ou plutôt aux histoires d’amour et au côté « voyeurisme » propre à la télé-réalité ? A l’extrême, ne dégage t-elle pas une image négative en « ridiculisant » le milieu agricole ? Les avis et les réponses divergent.

Pour Eric Touquet, de l’agence de communication Publicis Activ, cette émission a au moins le mérite de « démystifier » l’agriculture auprès des français : « On découvre que les agriculteurs sont des « vrais gens », qu’ils ne sont pas différents, qu’ils ont une vie en dehors du boulot. Mais on peut aussi se demander pourquoi on ne catégorise pas les autres métiers comme on le fait avec celui d’agriculteur ; par exemple, on aurait du mal à envisager une émission « l’amour est dans la maçonnerie » !…

Certains participants, eux-mêmes agriculteurs, ne semblent pas convaincus que l’image de l’agriculture en soit dégradée, au contraire : « Avant de participer à l’émission, je ne l’avais jamais vu et je n’avais donc aucune appréhension, raconte Loïc, éleveur dans les Deux-Sèvres et participant à la saison 3. Ma peur portait surtout sur le type de filles que j’allais rencontrer ! Mais les conditions de tournage étaient très souples, on avait du temps libre, des loisirs. Quand quelque chose ne me plaisait pas, je disais stop. Globalement, cette émission n’est que du positif !». On le comprend, l’éleveur a en effet rencontré Stéphanie depuis sa participation en 2008 et est l’heureux papa d’un petit Gaby, né en novembre dernier... L’agriculteur tient même à recadrer les choses : « Il ne faut pas laisser dire n’importe quoi à propos de cette émission de télé réalité. Je n’ai eu personnellement aucun souci avec cela. Suite à la diffusion de mon portrait, les réactions ont été positives. On m’a dit, oui, c’est bien toi, cela te ressemble. Sur mon métier, mes voisins m’ont dit que cela représentait bien l’agriculture ».

C'est la belle histoire qui intéresse

Le concept de l’émission met en scène des agriculteurs sur leur exploitation ou dans leur maison, et ne sont donc pas enfermés dans un lieu et pour une durée déterminée. Libres et à l’extérieur, « ils peuvent partir quand ils veulent, précise Benjamine Fajeau, ce qui n’est pas classique. On respecte les gens qu’on filme, on ne les prend jamais en traitre, on fixe les règles dès le début. On accepte de ne pas tout filmer, de ne pas assister à tout ou de supprimer des séquences s’ils le souhaitent », tient à signaler la productrice.

Et si, plus simplement, ce qui plaisait au public était lié au « casting », qui ne mettrait en scène que des gens « authentiques » ? : « Les candidats agriculteurs qui postulent sont nombreux ! Nous ne prenons des personnes que si l’on a la sensation véritable qu’elles sont sincères, qu’elles ont un vrai désir de rencontrer quelqu’un, explique Benjamine Fajeau. Il faut qu’elles aient l’envie véritable de mettre fin à leur célibat. La véracité du casting, c’est très important. C’est une émission de rencontres avant tout ! ».

Pour les uns, c’est d’ailleurs sur ce thème que s’est bâti le succès de L'amour est dans le pré : « C’est la belle histoire qui intéresse ; le succès est plus lié à ce sujet et moins au fait qu’il porte sur l’agriculture », commente Eric Touquet, publicitaire. Pour le sociologue Roger Le Guen, ce qui est « intéressant », « c'est la vision que cela donne de l'agriculture : diversité des jeunes, des régions, des productions. Mais la scénarisation et la mise en scène rendent « très difficile la compréhension du métier d’agriculteur. On ne sait pas toujours faire parler du travail et des métiers…ce problème n’étant pas spécifique à cette émission ». Ce que confirme la productrice, qui rappelle que ce sont les agriculteurs eux-mêmes « qui ne désirent pas faire travailler les femmes sur l’exploitation ». « Ils ne cherchent pas une associée mais une compagne ! Ils mettent un peu entre parenthèses leur métier. Et c’est de la décision de l’agriculteur lui-même de ne pas le faire ; ils ont envie de montrer autre chose que leur métier : les sorties, les loisirs, la région ».

Loïc, désormais habitué des média, se prête volontiers au jeu des questions des journalistes...! (© Terre net)

Et c’est justement quand ces agriculteurs décident que les femmes doivent mettre la main à la pâte que la contestation monte : « Mettre une citadine dans une exploitation avec une fourche à la main les pieds dans le fumier, n’est-ce pas dégradant et plus vendeur ?, interpelle quelqu’un dans la salle. Et pourquoi ne fait-on pas la même chose avec un artisan, un maçon ou un plombier ? ». « L’émission existe parce que l’agriculture est la catégorie socio-professionnelle où il y a le plus de célibataires ; je ne pense pas que l’émission soit dégradante pour l’agriculture », répond la productrice…Libre à chacun de juger… Ce qui est sûr c’est qu’elle a au moins le mérite de remplir son objectif - ou en tous cas en partie - celui de provoquer des rencontres.

A voir aussi à ce sujet : [Reportage vidéo] L'amour est dans le pré - Anciens candidats, productrice, agriculteurs et agricultrices témoignent