Les agriculteurs amplifient leur mouvement

Dans l'Ariège, les manifestations ont été endeuillées par le décès d'une éleveuse et de sa fille, percutées par une voiture sur un barrage.
Dans l'Ariège, les manifestations ont été endeuillées par le décès d'une éleveuse et de sa fille, percutées par une voiture sur un barrage. (©Page Facebook JA Ariège)

Jachère, pesticides, normes environnementales, autorisations administratives, prix du gazole... Les cultivateurs et éleveurs français n'ont pas tous les mêmes demandes mais partagent un même malaise sur leur avenir, écartelés entre désir de produire et d'exporter, et nécessité de réduire leur impact sur la biodiversité et le climat.

« C'est un ras-le-bol général, ça fait des mois qu'on essaie de le dire à nos politiques mais rien ne bouge, on en a marre », déclare à l'AFP Julien Duchateau, agriculteur à Marquise (Pas-de-Calais), pointant aussi « la paperasse » qui « exaspère tout le monde ».

« Il y a un sacré mal-être chez les paysans », a déclaré à l'AFP Patricia Dagoré, agricultrice au Pays basque et membre de la FNSEA. « On nous impose toujours plus de normes. Mais comment faire pour les appliquer ?  Les mettre toutes en œuvre, ça coûte. Aujourd'hui, on a tous la corde au cou, des trésoreries dans le rouge », a-t-elle poursuivi lors d'un blocage de l'A63 à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) mardi soir.

Tôt mercredi, des agriculteurs à bord d'au moins 200 tracteurs ont envahi la rocade de Bordeaux, axe névralgique entre Paris et l'Espagne, bloquant la circulation pour exprimer les revendications d'une « agriculture en colère ». « Nous comptons y rester jusqu'à ce que nous ayons des réponses concrètes », a lancé Serge Bergeon, secrétaire général de la FNSEA Gironde.

« Le prix du gasoil, toutes les taxes, et même par rapport aux générations futures... ça ne donne pas envie de s'installer agriculteur », a déclaré à l'AFP Yoan Joannic, 20 ans, agriculteur dans le sud de la Gironde. Ce jeune producteur céréalier s'est dit ému par les décès d'une éleveuse d'une trentaine d'années et de sa fille adolescente, percutées par une voiture sur un barrage mardi à Pamiers (Ariège).

« On a la rage de continuer, pour cette famille qui est décédée. Ils étaient comme nous, passionnés... On a commencé, maintenant on continue ! », a-t-il lancé, tandis que Bison Futé faisait part d'un bouchon de 7 km et d'une coupure sur l'A10 en direction de Bordeaux, du fait de cette action. Une minute de silence a été observée en hommage aux deux victimes.

Démarré jeudi dernier en Occitanie par un blocage d'autoroute qui continue, le mouvement s'est étendu depuis toute la France.

« Les actions vont s'amplifier »

« Les actions vont s'amplifier » mercredi, a promis mardi soir sur TF1 le président de la FNSEA, premier syndicat agricole, Arnaud Rousseau. Après la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs (JA) reçus lundi, la Coordination rurale, deuxième syndicat, et la Confédération paysanne, troisième, sont sortis mardi soir du bureau de Gabriel Attal sans appeler à lever les blocages. La première a jugé l'échange « constructif » tandis que la seconde jugeait les propositions « insuffisantes ».

De multiples ronds-points, péages ou bretelles d'autoroutes ont été occupés ces dernières heures, sans compter les opérations escargots. Comme à Angoulême mardi, ou deux péages rendus gratuits sur l'A83 en Vendée. La Coordination rurale promet de poursuivre ses opérations de bâchage de radars, notamment dans le Lot-et-Garonne et en Dordogne, et veut sensibiliser les visiteurs du festival de BD d'Angoulême à « la cause des agriculteurs ».

Mercredi à l'aube, la préfecture de la Creuse a indiqué sur le réseau social X que la RN145 était bloquée dans le sens Guéret-Limoges à partir de l'échangeur 54. L'A4 doit aussi être bloquée aux alentours de Strasbourg à partir de la mi-journée tandis que les Jeunes Agriculteurs prévoient de bâcher les radars de Moselle (hors autoroute).

D'autres routes de France sont concernées par la mobilisation comme à Bayonne et Pau (A63 et A64), autour de Lyon (M6, A47), sur l'A7 d'Orange à Montélimar, entre Valence et Grenoble (A49), entre Saint-Amand-Montrond et Bourges (A71), la rocade d'Orléans ou de nombreuses voies rapides de Bretagne (notamment la RN12). À Agen, la Coordination rurale bloque l'A62 et menace de faire « tomber » les grilles de la préfecture, qu'ils ont déjà arrosées de lisier mardi.

Dans le sud-est de la France notamment, un convoi d'environ 70 tracteurs a emprunté l'autoroute « du soleil », à la hauteur du péage d'Orange (Vaucluse), pour remonter vers la Drôme plus au nord, ont constaté des journalistes de l'AFP. Cette action escargot a engendré la fermeture de l'A7, axe crucial, dans le sens Marseille-Lyon à la hauteur d'Avignon. « C'est triste d'en arriver là », a déploré Sophie Vache, viticultrice et responsable FNSEA 84. « Nous demandons de la dignité et la reconnaissance de notre travail. »

Bloquer la France ?

Dans le Sud-Ouest, des manifestants ont lancé un ballot de paille dans un restaurant McDonald's à Agen. À Bergerac, du lisier a été déversé devant la sous-préfecture de Dordogne. À Morlaix, en Bretagne, des tracteurs ont bloqué à partir de mardi soir le pont routier de la RN12, l'axe principal entre Rennes et Brest. « On est 50, des élus viennent nous rejoindre, des marins pêcheurs également », affirme Cédric Le Velly, des Jeunes Agriculteurs, à l'AFP, disant vouloir rester au moins jusqu'à mercredi soir.

En Normandie, tracteurs et éleveurs bloquaient en fin de matinée, à Domfront en Poiraie dans l'Orne, l'usine de camembert Président du groupe Lactalis, accusé de « fouler au pied » la loi Egalim censée garantir la rémunération des agriculteurs par les industriels. Le numéro un mondial du secteur « ne paie que 403 euros » les 1 000 litres, là où ses concurrents achètent à 440 euros, affirme Sylvain Délye, 50 ans, éleveur de vaches et président de la FNSEA dans ce département. « Les banques ne suivent plus, le rendement du lait n'étant pas garanti. »

Dans les Hauts-de-France, les agriculteurs comptent poursuivre le barrage filtrant mis en place sur un péage de l'A29 près d'Amiens (Somme), et organiser de nouvelles manifestations dans l'Aisne et le Pas-de-Calais notamment, où selon la préfecture de région, « l'accès aux différentes plateformes transManche est susceptible d'être perturbé » (tunnel sous la Manche et port desservant l'Angleterre).

La mobilisation s'est poursuivie avec le blocage de l'autoroute A2 près de Valenciennes (Nord) et l'A16 au niveau de Beauvais (Oise).  Les manifestants picards n'excluent pas de se rapprocher de Paris. « Ça va bouger, les agriculteurs veulent être entendus à Paris », affirme à l'AFP Luc Smessaert de la FNSEA Oise.

Avec pour objectif de bloquer la France ? « Non, pas du tout, c'est un moyen pour obtenir rapidement des décisions. Une fois que la mèche est allumée, les agriculteurs veulent aller jusqu'au bout », a répondu Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, sur France 2 mercredi matin.

Tous les manifestants ne sont pas d'accord sur les moyens d'action. Laurent Thérond, co-porte-parole de la Confédération paysanne du Vaucluse, qualifie ainsi les dirigeants de la FNSEA de « pompiers pyromanes ». « Eux veulent une baisse des charges et des coûts pour produire toujours plus et moins cher, grâce notamment à des produits chimiques et des grosse machines polluantes. Nous, on veut que notre production soit plus rémunératrice en demandant aux industriels et à la grande distribution de partager le gâteau », explique Laurent Thérond.

Contestation européenne

Mais comment résoudre vite des problèmes aussi enracinés ? Assailli de questions à l'Assemblée mardi, le Premier ministre Gabriel Attal a évoqué des mesures qui pourraient arriver rapidement : d'abord sur la rémunération des agriculteurs par les industriels et les grandes surfaces, censée être sanctuarisée par la loi dite Egalim. Les négociations commerciales annuelles se termineront le 31 janvier.

Il a aussi promis de répondre à la demande de simplification administrative, les exploitants, surtout les éleveurs, devant remplir chaque jour de nombreux documents. Les demandes de subventions et d'aides après des calamités prennent aussi trop de temps, se plaignent les agriculteurs.

Face au mécontentement, le gouvernement a dit mercredi avoir "entendu l'appel" des agriculteurs. L'exécutif fera des annonces "dans les jours à venir", a indiqué la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot, assurant qu'il n'était "pas question de venir empêcher" les blocages routiers. Elle a évoqué des pistes à l'étude sur la fiscalité du gazole non routier (GNR) et "les avances de trésorerie". Gabriel Attal "s'est engagé à se rendre très rapidement sur le terrain", a-t-elle ajouté.

« Je pense que les annonces qui seront faites, ça ne sera pas suffisant. Et donc notre mouvement va se poursuivre dans les semaines à venir jusqu'au Salon de l'agriculture », pronostiquait un agriculteur membre de la FNSEA sur un blocage de l'A63 à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) dans la nuit de mardi à mercredi.

Les autres grands pays agricoles européens étant confrontés à des mouvements similaires, le sujet agite aussi Bruxelles. La Commission européenne réunira jeudi organisations agricoles, secteur agroalimentaire, ONG et experts pour tenter de calmer le jeu et convaincre de l'intérêt de réconcilier transition écologique et agriculture.

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