En Tunisie
Leith Ben Becher, agriculteur à Ben Bechir (région de Jendouba)
Pas de révolution agricole en vue
« Cette année, j’ai récolté 100 ha de céréales et j’ai terminé mes moissons début juillet. Elles m’ont occupé l’essentiel du mois de juin. Avec des rendements de 45 q/ha en blé tendre et 35 q/ha en blé dur, j’estime que la campagne s’achève bien comme la plupart des agriculteurs de Jendouba, Beja et Bizerte, qui n’ont pas souffert non plus de la sécheresse ayant affecté d’autres régions tunisiennes. Mais nous aurions pu faire mieux si nous n’avions pas été victimes d’un certain nombre de contretemps ces derniers mois. Nous avons en effet pâti de la pénurie de certains intrants à des moments clés du cycle végétatif des plantes (absence de Dap au semis, faible disponibilité en ammonitrates importés à la reprise de végétation...) sans que cela n’ait inquiété l’administration en charge de ces questions.
Une céréaliculture à deux vitesses
A l’échelle du pays, à l’exception de quelques rares zones au nord (Bizerte, Beja et Jendouba), ces difficultés d’approvisionnement se sont ajoutées au manque de pluies avec, pour conséquence, une faible récolte de blé (dur et tendre) et d’orge.
D’après les statistiques officielles, la moyenne nationale n’excédera pas 15 q/ha (à l’heure où ces lignes sont écrites, le bilan définitif de la campagne n’est pas encore établi, Ndlr) même si dans les régions nord, où la pluviométrie dépasse généralement 400 mm/an, les rendements flirtent souvent avec les 45 voire 50 q/ha. La production tunisienne de blé dur et tendre sera inférieure à 10 millions de quintaux, soit au tiers de nos besoins nationaux, toutes céréales confondues.
Cela augure des jours difficiles pour de nombreux agriculteurs et pour notre économie, avec la progression de nos importations de céréales et principalement de blé tendre. Certes les cours mondiaux baissent, mais la Tunisie s’approvisionne depuis le début de l’été dernier sur le marché international pour combler le déficit de production. L’an passé, nous avions dû importer plus de 10 millions de quintaux alors que les prix étaient au plus haut (jusqu’à 240 €/t). Cette situation révèle d’importantes marges de progrès pour accroître la production de céréales en Tunisie, comme pour les autres filières d’ailleurs, mais elle fait surtout ressortir l’existence d’une céréaliculture à deux vitesses.
Combien de temps pourrons-nous tenir, ballottés entre la flambée des coûts des matériels et des intrants alors que les prix de vente de nos grains sont plafonnés ? Autrement dit, sans aucun soutien permettant d’amortir les coups durs en période de sécheresse ?
Notre modèle de production doit évoluer
Il est temps de faire évoluer notre modèle de production. Face au changement climatique et à la hausse des prix des intrants, les techniques culturales assises sur des modèles standardisés utilisant des engrais chimiques ne constituent plus une source de progrès.
Mais les Tunisiens restent attachés au blé car les prix sont garantis par l’Etat. La sole de céréales est comprise entre 1,2 et 1,5 million d’hectares, dont plus de la moitié est réservée respectivement au blé dur et au blé tendre ! Le blé est implanté même sur de mauvaises terres, ce qui explique la faiblesse des rendements observés au niveau national. La pratique de la monoculture de blé est courante. Quant à l’orge, c’est une culture marginale souvent autoconsommée.
Ce n’est pas tant la transition politique que vit notre pays qui pénalise l’agriculture et les agriculteurs, mais l’inexpérience des nouveaux responsables au pouvoir et leur absence de vision en matière de développement rural et agricole. C’est pourquoi le Synagri (cf. encadré) ne cesse d’alerter le gouvernement pour que les agriculteurs soient mieux écoutés.
La recherche, trop longtemps délaissée
Selon le syndicat que je préside, les failles de l’agriculture tunisienne traduisent l’absence pendant longtemps d’une réelle politique de recherche. L’offre variétale en céréales décline alors qu’il faut répondre à la diversité des conditions pédoclimatiques du pays. La baisse des crédits de recherche est aussi liée à une adaptation insuffisante des systèmes de production au changement climatique, dont les effets se précisent de plus en plus. Par ailleurs, les filières autres que céréalière ne sont pas assez structurées. Respecter les séquences agronomiques n’est pas toujours facile alors que cela permettraient d’obtenir de meilleurs rendements.
La politique agricole alternative proposée par notre syndicat vise à produire plus et à concilier rentabilité économique, efficacité écologique et équité sociale. Ce défi de la durabilité est en fait celui que doivent relever l’ensemble des pays du nord comme du sud de la Méditerranée. L’augmentation des prix garantis serait un début de solution aux problèmes environnementaux des agriculteurs tunisiens et compenserait celle des coûts de production. Mais la politique de prix à mettre en œuvre sera efficace si elle est conditionnée au respect d’un certain nombre de règles agronomiques : rotations, diversité des cultures implantées afin de satisfaire les besoins nationaux...
Enfin, selon le Synagri, il importe de relancer la recherche agronomique, d’organiser les marchés et d’améliorer le conseil agricole. »
En France
Exportations de blé
Le Maghreb, le principal débouché
Près de 5,6 Mt l’an passé et entre 5 et 5,3 Mt de tonnes prévues pour cette année. Les exportations françaises de blé tendre vers les pays du Maghreb représentent près de la moitié des volumes vendus par la France aux Etats membres de l’Union européenne. Avec 3 Mt importées, l’Algérie est un client fidèle alors qu’elle pourrait s’approvisionner moins cher ailleurs. La qualité des grains vendus est tout à fait adaptée à la nature des pains produits selon nos traditions boulangères. Le blé américain est cependant préféré si la différence de prix est excessive.
Anticipant une récolte moyenne de 3 Mt de blé dur et tendre (pour un potentiel de 4 Mt), le pays a commencé cette année à s’approvisionner en France dès les mois de juin et juillet, avant la baisse importante des prix. Ainsi, les volumes importés atteignent déjà 1,5 Mt.
L’Asie, nouvel eldorado
Cette campagne, le Maroc s’approvisionnera comme à l’accoutumée auprès de plusieurs fournisseurs, en respectant les contrats passés avec les Etats-Unis. La France escompte vendre 1 à 2 Mt (1,6 Mt en 2012), mais la bonne moisson marocaine (7 Mt de blé tendre et dur) réduit les besoins du pays.
Les importations tunisiennes de blé français (100.000 à 400.000 t) sont marginales car la Tunisie privilégie les prix à l’origine géographique des grains. Avec une production de 920.000 t en 2013, parmi les plus faibles de ces dernières années selon Leith Ben Becher, les importations représenteront jusqu’à 2 Mt.
Plus à l’est, notre pays est quasiment absent des marchés libyen et égyptien : l’un privilégie d’autres fournisseurs, l’autre fonctionne par appel d’offres. En cas de mauvaises récoltes comme en 2012, la France est cependant un recours pour l’Egypte.
Mais cette année, cette dernière préfère le blé roumain, ukrainien ou russe même si la qualité laisse à désirer. A l’avenir, nous avons des perspectives d’exportation de blé en dehors de nos clients traditionnels. La France est dorénavant présente en Jordanie et ne doit pas se priver du nouvel eldorado asiatique.