C'est le budget européen « le plus ambitieux jamais proposé », a souligné la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Dans ce nouveau budget, la Commission érige clairement la compétitivité en priorité, à 451 milliards d'euros, confirmant le tournant pro-entreprises de l'UE en pleines tensions commerciales avec les Etats-Unis de Donald Trump.
300 milliards pour la Pac
Trois ans après le déclenchement de la guerre en Ukraine, l'exécutif souligne aussi sa mobilisation en faveur de la défense, et promet une enveloppe de 100 milliards de soutien supplémentaire à Kiev de 2028 à 2034. « Il s'agit d'un engagement à long terme » pour « la reconstruction de l'Ukraine », a déclaré le commissaire européen en charge du budget, Piotr Serafin.
De quoi faire rugir le Premier ministre hongrois Viktor Orban. « L'Ukraine bénéficierait d'une aide financière massive, tandis que les agriculteurs européens seraient perdants », a fustigé le dirigeant nationaliste.
La transformation de la politique agricole commune (Pac) va être au coeur de la longue bataille budgétaire qui s'annonce entre les 27, durant deux ans.
Selon la Commission, 300 milliards d'euros seront consacrés aux « revenus des agriculteurs », alors que le budget précédent de la PAC représentait 387 milliards de 2021 à 2027, dont 270 milliards d'aides directes aux exploitations.
Bruxelles explique le différentiel par une nouvelle architecture budgétaire - l'intégration de la Pac à un grand fonds de « partenariat national et régional » et le transfert de certaines sommes vers la politique de cohésion - ce qui alarme la profession.
Le Copa-Cogeca, lobby des agriculteurs européens, a lancé les hostilités dès mercredi en organisant une marche de protestation, sans tracteurs, de quelques centaines de manifestants devant la Commission.
« Nous reviendrons »
« Cette proposition est une provocation », « personne n'a intérêt à défier les agriculteurs européens, si ce message n'a pas été entendu, nous reviendrons », a prévenu le patron de la FNSEA Arnaud Rousseau, premier syndicat agricole français, lors de la manifestation à Bruxelles.
Le Parlement s'y oppose également, selon l'eurodéputé roumain Siegfried Muresan (PPE, droite), rapporteur de ce budget. C'est un « démantèlement » de la Pac, abonde sa collègue française Céline Imart. « La Commission troque le tracteur pour la calculette ».
Echaudée par le mouvement de colère agricole de 2024, la Commission se veut pourtant rassurante. La Pac continuera de fonctionner avec des règles propres et de moyens financiers fléchés, assure-t-elle, en particulier pour les aides directes aux agriculteurs.
Au moins deux dispositifs sur le soutien aux régions rurales défavorisées et l'innovation agricole quitteraient cependant le giron des financements Pac pour rejoindre ceux destinés à la cohésion des territoires.
La Commission voudrait aussi revoir le mode de calcul des versements de la Pac, afin de mieux cibler ses bénéficiaires.
Pour éviter de trop financer les plus grandes exploitations, Bruxelles voudrait plafonner à 100 000 euros les aides à l'hectare et introduire une dégressivité. Mais là encore, les négociations s'annoncent délicates.
« Trop élevé ou statu quo ? »
La présentation d'ensemble de la Commission fait l'objet de réactions contrastées.
« Une augmentation substantielle du budget de l'UE est inacceptable à l'heure où tous les États membres font des efforts considérables pour consolider leurs budgets nationaux », a déclaré mercredi soir le porte-parole du gouvernement allemand, Stefan Kornelius, dans un bref communiqué.
« Nous ne soutiendrons pas non plus la taxation supplémentaire des entreprises proposée par la Commission », a-t-il ajouté. Même son de cloche pour les Pays-Bas, l'un des pays « frugaux » qui réclament régulièrement des économies à l'UE, qui juge également ce budget « trop élevé ».
La France, par la voix du ministre délégué chargé de l'Europe Benjamin Haddad, l'a qualifiée d'« ambitieuse ».
« Le budget proposé est trop élevé », a quant à lui réagi Eelco Heinen, ministre des Finances des Pays-Bas, l'un des pays « frugaux » qui réclament régulièrement des économies à l'UE.
Au Parlement européen, les deux rapporteurs Siegfried Muresan (PPE, droite) et Carla Tavares (sociale-démocrate, gauche), jugent que la hausse affichée « ne suffit tout simplement pas », car elle s'explique pour partie par le remboursement de l'emprunt européen contracté pendant la pandémie de Covid et par l'inflation. « La proposition reflète un surprenant manque d'ambition », taclent-ils.
Le précédent budget, de 2021 à 2027, représentait 1 200 milliards d'euros mais avait été complété par un plan de relance de 800 milliards pendant la crise Covid. Et il a fallu faire des choix tant l'équation budgétaire de l'UE relève du casse-tête.
Déjà exsangues, les Etats ne veulent pas mettre davantage dans le pot commun, à l'image de la France, qui a assuré mercredi qu'elle verserait à l'UE moins que prévu en 2026. Ce, alors même que la liste des dépenses européennes ne cesse de s'allonger.
La Commission cherche donc de nouvelles ressources. Elle propose un prélèvement supplémentaire sur le tabac, une contribution des grandes entreprises, ou une nouvelle taxe sur les déchets électroniques non recyclés.
Le tout alors que les Verts craignent que les contraintes budgétaires poussent à sacrifier les crédits consacrés à la protection de l'environnement.
Quels seront les arbitrages dans deux ans ? « Comme d'habitude, tout se finira par cinq jours de négociations » lors d'un sommet entre les 27, prédit un fonctionnaire européen.
Avec en creux, la division persistante au sein de l'UE entre les Etats les plus « frugaux » budgétairement et ceux comme la France qui plaident pour un nouvel emprunt commun européen.