Le changement climatique : un facteur limitant pour les rendements de blé français
Des études d’Arvalis et de l’Inrae (Gate et al., 2010 ; Brisson et al., 2010), publiées au début de la décennie 2010 exposent une stagnation des rendements, observée depuis les années 1990. Ce plafonnement est en partie attribué à une augmentation du déficit hydrique pendant la montaison de la céréale et de l’échaudage thermique au cours du remplissage des grains.
A l’avenir, ces deux aléas, ayant respectivement des conséquences sur la croissance et le poids des grains, sont particulièrement craints par la profession agricole puisque les printemps et les étés devraient être plus chauds et plus secs.
Par ailleurs, d’autres menaces atmosphériques pèsent sur les productions telles que celles favorables au développement de pathogènes, comme ce fut le cas en 2016 avec la concomitance entre un automne-hiver anormalement doux et un printemps humide. Derrière un signal de fond plus sec au printemps, la variabilité interannuelle pourrait toujours expliquer des années humides et engendrer ce type de situation (Ben-Ari et al., 2019).
Afin d’envisager concrètement l’adaptation de l’agriculture aux évolutions climatiques à venir, plusieurs études d’impact prospectives se sont développées à partir des années 2000. Cette tribune propose de revenir sur les résultats tirés d’une recherche récente menée pour 7 sites caractéristiques de la céréaliculture française (Caen, Albert, Châteaudun, Dijon, Niort, Clermont-Ferrand et Auch) aux horizons 2070 et 2100 en comparaison à la période de référence 1976-2005.
Deux scénarios sont retenus pour illustrer l’enveloppe des possibles :
- le scénario RCP 2.6 relatif à une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l'échelle internationale (respect des accords de Paris sur le climat tiré de la COP 21)
- et le scénario RCP 8.5 sans mise en place de politiques climatiques visant à limiter les émissions de GES à l'échelle internationale [1].
Des moissons plus précoces
Dans les prochaines décennies, sans modification des dates de semis actuelles, la durée du cycle du blé devrait se raccourcir à mesure que la température augmente. C’est surtout la phase du tallage hivernal qui serait raccourcie. Les moissons auraient alors lieu plus tôt dans le calendrier. D’ici 2041-2070, elles se dérouleraient entre la mi-juin pour les sites méridionaux et début juillet pour les plus septentrionaux. Après 2070, dans le cas d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre, la situation serait équivalente à l’horizon proche. En revanche, dans le cas d’une poursuite des émissions de GES, les récoltes débuteraient début juin au sud et se clôtureraient au nord en troisième semaine de ce mois.
Evitement des sécheresses et chaleurs estivales
De ce fait, la fin du cycle de la plante ne se chevaucherait plus avec le mois de juillet et permettrait d’éviter les sécheresses et vagues de chaleur estivales. Sur l’horizon 2041-2070, le déficit hydrique resterait équivalent à la période de référence et il en va de même après 2070 dans le cas d’une réduction des émissions de GES.
En revanche, avec le scénario RCP 8.5 l’anticipation de la date de maturité est tellement précoce que la céréale cumulerait moins de déficit hydrique ! La réduction de ce manque d’eau serait de l’ordre de - 10 à - 30 % selon les sites, à l’exception du plus méridionale (Auch) où les conditions seraient malgré tout légèrement plus sèches.
Néanmoins, il conviendra de rester vigilant face à la variabilité interannuelle du climat qui pourrait toujours engendrer des années défavorables. Le même mécanisme d’évitement est constaté pour l’exposition à l’échaudage thermique. Là encore, grâce à la précocité du remplissage des grains, cet aléa reste équivalent à la période de référence. En revanche, sans réduction des émissions de GES, l’échaudage thermique augmenterait de quelques jours en raison de printemps plus chauds. Mais les pertes seraient en partie compensées par la réduction du déficit hydrique et les sites du nord-ouest de la France occuperaient à ce titre une position moins défavorable.
L’exposition de la montaison aux basses températures et au déficit de rayonnement
Dans le cas du réchauffement associé au scénario RCP 8.5, les stades qui se réalisent actuellement au printemps seraient avancés à la sortie de l’hiver, moment de l’année où la durée d’éclairement est plus courte. De ce fait, le rayonnement solaire cumulé par la céréale serait plus faible pour sa croissance. D’ici la fin du siècle, cette réduction serait de l’ordre de - 10 à - 20 % sur l’ensemble de la montaison, et même jusqu’à - 40 % entre les stades épi 1 cm et 2 nœuds. Aussi, un stade phénologique comme la méiose, sensible à des températures inférieures à 4 °C, se réaliserait trop tôt dans l’année et pourrait être exposée à ces basses températures, avec de possibles conséquences sur la fertilité de la céréale. Le même raisonnement peut être appliqué au gel d’épis pour certaines régions. Les régions littorales du nord-ouest devront notamment être vigilantes face à cet aléa jusqu’alors peu rencontré contrairement aux plaines agricoles continentales.
Le déficit de vernalisation : vers une remise en cause des variétés de type "hiver" ?
Les variétés de type hiver doivent cumuler 50 à 60 jours de température moyenne comprise entre 3 et 10 °C sur la première partie du cycle (levée et tallage) afin de passer de l’état végétatif à reproducteur. C'est-à-dire qu’en l’absence d’une exposition suffisante aux basses températures, le blé ne peut pas enclencher sa montaison, ni fleurir au printemps. Dès le moyen terme, des hivers seraient trop doux pour la satisfaction des besoins du blé en vernalisation sur les sites océaniques et du sud du pays. A l’intérieur des terres, les hivers plus rudes garantiraient encore suffisamment de jours de basses températures. A long terme, une réduction des émissions de GES permettrait de regagner quelques jours de vernalisation.
Avec le scénario RCP 8.5, les variétés de types hivers pourraient ne pas réussir à enclencher leur montaison puisque ce cumul passerait en moyenne sous le seuil de 60 jours avec parfois seulement 30 à 40 jours pour les années les plus défavorables.
L’adaptation de la filière céréalière au changement climatique
Ces résultats exposent la complexité du changement climatique sur la céréale et l’intérêt des études d’impact prospectives. Ils devront toutefois être confirmés par la poursuite de ce travail avec d’autres modèles climatiques, des analyses multi-variétés et le recours à des modèles de cultures permettant d’estimer des potentiels de rendement.
Plusieurs leviers peuvent être mobilisés pour adapter les agrosystèmes au changement climatique. Tout d’abord, la filière peut chercher des variétés tolérantes aux stress climatiques identifiés par la création variétale ou en exploitant la diversité génétique déjà existante.
Modifier la date de semis ne semble en revanche pas constituer une solution viable. Les retarder permettrait à la montaison d’éviter les basses températures en sortie d’hiver et de gagner en rayonnement solaire mais la fin du cycle se chevaucherait avec la période estivale, exposées aux vagues de chaleur et aux sécheresses plus intenses.
Néanmoins, la céréaliculture dispose également d’autres solutions en s’inspirant notamment de l’agroécologie et de ses services écosystémiques permettant de réduire les pressions relatives aux ravageurs et maladies, tout en réduisant les émissions de GES (agroforesterie par exemple) ainsi que l’agriculture de conservation visant à améliorer le potentiel agronomique des sols. Les rotations culturales pourraient être diversifiées et allongées en introduisant de nouvelles cultures adaptées au climat de demain et participant à une diversification des débouchés qui pourraient être locaux (exemple : approvisionnement des villes, cultures à destination de l’alimentation animale…).
Ainsi, le changement climatique pourrait constituer l’occasion de remettre en cause nos modes de productions et de consommations en phase avec un agrosystème durable et plus respectueux de l’environnement. Pour trouver la « combinaison optimale » entre tous ces facteurs, il conviendra de poursuivre les recherches fondamentales et appliquées, fondées sur des approches spatiales, multi-scalaires, systémiques, temporelles et pluridisciplinaire, au service d’une gestion intégrée des agrosystèmes.
[1] Les valeurs de 2,6 et de 8,5 correspondent au forçage radiatif au sommet de la troposphère en w/m². Plus la valeur du forçage est élevée et plus l’atmosphère emmagasine de l’énergie et se réchauffe. A titre de comparaison, le forçage radiatif actuel est de 3,2 w/m².