Accélérer les trajectoires de décarbonationpour atténuer les effets du changement climatique semble inévitable. L’agriculture est bien souvent citée, comme étant à la croisée des chemins sur le sujet, étant donné qu’elle se doit à la fois de réduire ses GES, mais aussi d’accroître sa capacité à stocker du carbone. En France, l’inventaire Floreal du Citepa (Centre interprofessionnel Technique d’études de la Pollution Atmosphérique) recense précisément les émissions et absorptions des secteurs agricoles et forestiers.
Le rapport intermédiaire du Think tank The Shift Project, présidé par Jean-Marc Jancovici en fait le résumé suivant : « en production végétale : les émissions se répartissent principalement entre les céréales (49 %), les prairies (18 %), les oléagineux (10 %) et les cultures industrielles (10 %). Les cultures permanentes (vignes et arboricultures) ne représentent que 7 % des émissions, cultures fourragères annuelles et autres cultures permanentes 7 % également ». Des chiffres qui s’expliquent, selon le rapport, par le fait que les céréales sont présentes sur une surface importante et qu’elles sont notablement fertilisées.
Le rapport liste un certain nombre de leviers déjà plus ou moins actionnés mais qui nécessitent d’être massifiés pour réduire significativement les émissions :
- optimisation de l’utilisation des engrais azotés (juste adaptation des doses, modulation intra-parcellaire, précision de l’épandage, forme d’engrais moins émettrices…),
- augmentation des Cipan,
- augmentation des surfaces de légumineuses dans la rotation, en cultures principales, dans les couverts végétaux ou en plantes associées,
- augmentation des cultures à bas niveaux d’intrants dans les rotations,
- optimisation des prairies dans les systèmes mixtes.
S’agissant du stockage du carbone dans les sols, le rapport indique que seules les prairies stockent du carbone, à hauteur de 1,3 Mt CO2e (millions de tonnes d’équivalent CO2) alors que le secteur des terres cultivées serait émetteur de 7,7 Mt CO2e, essentiellement du fait des variations du stock liées aux pratiques. Ainsi le rapport précise qu’en plus des conversions de cultures en prairies, l’insertion des couverts végétaux d’intercultures, qui permettent des apports de matières organiques, et les cultures laissant un volume significatif de résidus au sol sont des pratiques favorables à privilégier.
Ainsi les différentes filières végétales bâtissent leurs feuilles de route sur ces grands principes. Même s’il convient de rappeler que de réfléchir à l’échelle d’une seule culture n’est pas le prisme de réflexion adéquat et qu’il faut penser système voire territoire.
Les oléoprotéagineux : des atouts à faire valoir
Ce serait enfoncer une porte ouverte que de dire que les légumineuses ont beaucoup d’atouts à faire valoir dans la décarbonation de l’agriculture. « Elles ont un impact très significatif, notamment grâce à leur capacité à fixer l’azote de l’air, elles n’ont pas besoin d’être fertilisées et constituent de bonnes têtes de rotation », insiste Anne Schneider, chargée d’études durabilité des systèmes et légumineuses chez Terres Inovia.
Par ailleurs, le colza est considéré comme un bon stockeur de carbone dans les sols, le tournesol est lui aussi plébiscité comme culture à bas niveau d'intrants. « Certaines cultures ont des points forts, mais il faut raisonner système et il faut combiner avec des couverts intermédiaires et quantifier précisément ces impacts pour acquérir des références solides. Les instituts techniques sont pleinement mobilisés sur le sujet », insiste la responsable.
À cela s’ajoute aussi la nécessité de développer des filières. « Les débouchés ne sont pas le problème, on sait que les besoins en matière de protéines végétales sont immenses. Des initiatives voient le jour, il faut les accompagner », soutient Anne Schneider. Notons que FranceAgriMer a ouvert un appel à projets pour aider à la structuration des filières de protéines végétales. Le dépôt de dossier est possible jusqu’à la fin de l’année 2024. Le dispositif est doté de 38 millions d’euros.
Par ailleurs, Terres Univia, l’interprofession des huiles et des protéines végétales, a annoncé la couleur à l’issue de son Assemblée générale extraordinaire fin juin 2024. La filière se dote en effet, d’un plan d’actions interprofessionnelles en faveur des oléoprotéagineux. Il vise les objectifs suivants à l’horizon 2030 : le doublement des surfaces de légumineuses de grandes cultures pour atteindre le million d’hectares, passer de 50 à 60 % d’autonomie en matières riches en protéines pour l’alimentation animale et l’autonomie pour les ressources végétales cultivables en France et consommées en alimentation humaine.
Pour l’interprofession, ce programme de l’amont à l’aval devrait être capable « de préparer la filière à faire face aux grands enjeux du changement climatique, de la décarbonation, de la transition agroécologique ou bien encore de la souveraineté protéique ».
« La betterave à sucre doit continuer à faire partie des stratégies »
Du côté des cultures industrielles, la betterave à sucre a elle aussi de bons atouts à faire valoir pour accompagner la décarbonation des systèmes. « Cette culture est efficace pour capter le CO2 atmosphérique. Elle permet aussi sur les exploitations de bénéficier de périodes d’incultures longues pour l’implantation de couverts végétaux », résume Remy Duval, adjoint à la direction technique et scientifique de l’ITB, l’institut technique de la betterave.
Et de poursuivre : « L’institut travaille le sujet de la décarbonation des systèmes en se concentrant sur la validation économique des différents leviers techniques potentiellement mobilisables. Car il ne faut pas perdre de vue que l’on doit accompagner les agriculteurs avec des solutions qui sont totalement opérationnelles et supportables économiquement ».
Premier levier d’action, l’optimisation de la fertilisation azotée pour baisser le bilan « émission ». « Globalement, ce poste est plus aisé à mettre en œuvre que la captation nette du carbone », confie le responsable. Choix de la forme d’engrais, optimisation des apports par l’enfouissement et le fractionnement, recours aux produits organiques, il y a des marges de manœuvre pour améliorer le bilan carbone de la betterave à sucre.
Favoriser les associations d’espèces dans les couverts d’interculture, aménager la rotation avec des cultures à faibles besoins en azote… autant d’approches techniques qui doivent être encouragées et massifiées à l’échelle des exploitations. Autre bon point à mettre à l’actif de la betterave à sucre : son utilisation dans la filière bioéthanol qui permet de réduire de façon très significative les émissions nettes de GES dans les transports.
Le Label Bas Carbone comme cadre de référence
Le secteur des grandes cultures avance en s’appuyant sur la méthode du Label Bas Carbone, approuvée en juillet 2021. Il s’agit d’un cadre de référence pour la certification des projets de réduction d’émissions ou de séquestration du carbone dans les exploitations de grandes cultures. Ce label permet d’évaluer précisément le bilan carbone (émissions + stockage). Il sert de référence pour la certification des projets qui deviennent alors éligibles au financement par des acteurs privés ou publics via l’achat de « crédits carbone ». Désormais, plusieurs sociétés sont positionnées sur ce marché pour
1) l’accompagnement des agriculteurs
2) la certification des démarches
3) la mise en relation avec les financeurs potentiels
À n’en pas douter, ce marché est en pleine expansion, car le potentiel de croissance est réel tant les enjeux sont grands. Le financement reste un point relativement peu transparent, il sera pourtant l’élément incontournable pour accélérer les trajectoires de décarbonation.