« On ne s’est pas installés pour devenir patrons, on s’est installés pour faire un métier du vivant », témoigne Marianne Dutoit, présidente de Vivea, fonds d’assurance formation des entrepreneurs du vivant. Or, face à un salariat qui monte désormais en puissance en agriculture, les chefs d’exploitation ne disposent pas toujours de toutes les clés pour réussir à manager leurs employés. Pour aider les agriculteurs à progresser sur le sujet, Vivea a organisé le 8 novembre des tables-rondes sur les besoins en compétences et l’accompagnement des employeurs agricoles.
Aujourd’hui, plus d’un actif permanent sur cinq est un salarié, rappelle Jean-Noël Depeyrot, chargé de mission au Centre d’Études et de prospectives du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Les salariés non familiaux permanents et temporaires représentent 772 300 personnes pour 213 900 ETP, sans compter les groupements d’employeurs et les entrepreneurs de travaux agricoles.
Un déficit d’attractivité
Cependant, si le dernier recensement agricole témoigne d’une progression du salariat dans les exploitations agricoles depuis 2010, on relève également des départs massifs : entre 2010 et 2020, 79 % des salariés des exploitations sans élevage de ruminants ont quitté le secteur, tout comme 70 % des salariés des exploitations avec élevage de ruminants. Chaque année, la moitié des saisonniers et un tiers des salariés en CDD désertent l’agriculture.
Un turn-over massif qui « doit poser la question des montées en compétence, de l’engagement », dans des exploitations « patronales familiales », souligne Jean-Noël Depeyrot. Et si le management « familial » possède des vertus, par exemple dans l’expérience de la transmission, il peut également s’avérer trop vertical, en porte-à-faux avec les attentes des salariés actuels, la majorité de ces derniers étant particulièrement jeunes (moins de 30 ans).
Le salaire joue également dans l’attractivité des emplois agricoles, avec une moyenne autour de 1,31 smic en 2020 tous secteurs confondus, mais qui descend à 1,03 smic en ovins laitiers et 1,08 smic en bovins et caprins laitiers. En euros constants, les salaires ont progressé de 4 % en 10 ans, mais marquent un recul sur certaines filières.
Des attentes nouvelles et des métiers méconnus
« On le constate, il faut mettre les moyens pour garder les salariés dans son entreprise », relève Fabienne Garel, vice-présidente de la commission emploi de la FNSEA. « Un travail sur les grilles de salaires et leur évolution a été mené par la FNSEA et ses partenaires, avec des augmentations du smic, des retraites complémentaires y compris pour les non cadres », explique-t-elle.
Le syndicat reste également attentif, via des enquêtes et sondages, à la transformation de la société et au rapport à l’emploi. Les salariés sont désormais plus attachés à l’équilibre entre temps de travail et loisirs, et le secteur agricole n’échappe pas à la règle, comme le soulignent les résultats du projet CapsAgri porté par l’Institut de l’élevage. « On travaille aussi dans un domaine peu connu, avec un déficit d’attractivité du métier », ajoute Fabienne Garel.
« Devenir consciemment incompétent, pour ensuite lancer des formations »
Le projet Capsagri montre en effet, pour les employeurs, la nécessité de mieux connaître les attentes des salariés éloignés du monde agricole, explique Emmanuel Béguin, chef du service Approches Sociales en Elevage, à l’Idele. Un travail est également à mener pour attirer des personnes éloignées du monde agricole, les accompagner vers l’emploi, et développer leurs compétences. On constate d’ailleurs « une sous-utilisation de la formation continue », identifiée pourtant comme un des leviers pour retenir ces salariés. Pour Marianne Dutoit, les réflexions menées par Vivea doivent ainsi contribuer à « faire prendre conscience que, parfois, en tant que manager, nous sommes inconsciemment incompétents. L’objectif est de devenir consciemment incompétent, pour ensuite lancer des formations ».
Créer les conditions de l’engagement
Pour Maurice Thévenet, professeur à l’Essec, spécialiste du management et de la gestion des ressources humaines, retenir les salariés nécessite de générer de l’engagement. Et pour cela, trois conditions sont nécessaires. Premièrement, la cohérence, à travers un partage de valeur et une communication régulière surtout « quand il n’est pas nécessaire de communiquer », afin de générer de la confiance. Deuxièmement, la réciprocité, qui passe par la rétribution mais pas uniquement : « cela se joue dans la qualité des relations, et ça commence par l’attention », explique-t-il. Troisièmement, l’appropriation. « Beaucoup de gens travaillent sans savoir à quoi sert ce qu’ils font. Il faut s’assurer que tout le monde sait à quoi il contribue », que chacun puisse se situer dans un projet plus global.

Alors que l’on a toujours travaillé dans nos organisations à se débarrasser des gens, à travers l’invention de machines, de robots, de l’intelligence artificielle, il reste néanmoins des tas d’activités où l’on ne peut pas se passer des gens. « Et si on n’a pas leur engagement, ça ne fonctionne pas. Toute cette perspective de formation s’envisage autour de l’engagement », résume ainsi Maurice Thévenet.