Énergies renouvelables
Faut-il se lancer dans l’agrivoltaïsme ?

À Amance (Saône-et-Loire), une canopée de panneaux photovoltaïques couvre une parcelle de 3 ha. Une expérimentation menée par la société TSE et Alliance BFC pour étudier l’impact des panneaux sur les cultures.
À Amance (Saône-et-Loire), une canopée de panneaux photovoltaïques couvre une parcelle de 3 ha. Une expérimentation menée par la société TSE et Alliance BFC pour étudier l’impact des panneaux sur les cultures. (©TSE/Alliance BFC)

« L’agrivoltaïsme doit rester un projet agricole, au service des cultures, il doit donc s’adapter aux contraintes de l’exploitation, à la taille des engins, par exemple, et pas l’inverse », Antoine Nogier, président de la fédération France agrivoltaïsme.

Voilà vingt ans que la ferme de Bel-air, installée à Channay, en Côte-d’Or, subit des dégâts climatiques. La sécheresse le plus souvent, ou parfois le gel, comme en 2012 où 700 ha de cultures ont dû être refaits. Alors en 2017, quand il a rejoint les trois associés de l’exploitation bourguignonne, Jean-Philippe Delacre a cherché un système simple pour diversifier ses revenus. C’est là que le projet d’agrivoltaïsme a émergé. Si la récolte est fichue, il reste une rentrée d’argent, stable et régulière, grâce aux loyers versés par le producteur d’énergie. Sur les 1 100 ha de l’exploitation céréalière, l’installation occupe une parcelle de 4,5 ha. Des panneaux solaires verticaux doubles-faces ont été implantés il y a deux ans. Quatorze rangées de 50 m de long, espacées de 12 m. Ici, on ne cultive que sur 8 m de large, entre chaque rangée, et des bandes enherbées de 2 m ont été implantées sous les panneaux. 

Le dispositif installé sur la ferme de Bel-air, à Channay (Côte-d’Or), consiste en des alignements de 14 haies de panneaux photovoltaïques verticaux bifaciaux, orientés Est-Ouest. ( © Jean-Philippe Delacre)

Le dispositif, installé par TotalEnergies, constitue l’un des trois « démonstrateurs » mis en place en Bourgogne-Franche-Comté par Alliance BFC, l’union des trois coopératives céréalières que sont Dijon céréales, Terre comtoise et Bourgogne du Sud. L’objectif est de tester durant cinq à dix ans le comportement de différentes cultures sous les panneaux. Si l’essai est concluant, Alliance BFC, qui fédère 12 000 agriculteurs, vise l’installation de systèmes agrivoltaïques sur 300 ha/an.

Des résultats prometteurs

« Les impacts sur les cultures sont en cours de qualification, mais les résultats sont pour l’instant encourageants, on n’observe pas de différence significative avec une production classique », indique Laurent Druot, chargé de développement énergies renouvelables à Dijon Céréales.

Jean-Philippe Delacre, lui, est plutôt content : « Avec le blé, c’est mieux entre les panneaux qu’en dehors sur la parcelle témoin ; avec les lentilles également, le rendement est de 13 q sous les panneaux, contre 12 en dehors. » Les panneaux verticaux de 3 m de haut freinent le vent, et donc l’évapotranspiration, remarque l’agriculteur. Et ce n’est pas le seul atout du dispositif à en croire Christian Dupraz, chercheur à l’Inrae et spécialiste du sujet : « Avec des densités de panneaux raisonnables, la quantité d’eau d’irrigation peut diminuer de 30 à 35 %, les cultures peuvent être protégées des gelées tardives ou précoces, et l’ombre partielle apportée par les panneaux permet aux cultures de mieux supporter les grosses chaleurs. Reste encore à le démontrer et à quantifier le bienfait. »

Haies photovoltaïques et canopées

La canopée agricole installée à Amance (Saône-et-Loire) est le « seul système au monde de si grande portée qu’il permette le passage de tous les engins agricoles », s’enorgueillit le président de TSE, Mathieu Debonnet. ( © TSE/Alliance BFC)

Il existe deux grands types d’installations agrivoltaïques. Le premier se présente sous la forme d’alignements de panneaux verticaux, sorte de haies de 3 m de haut. Il s’agit de la solution en place à la ferme de Bel-air. L’autre type, baptisé « canopée », consiste en une couverture formée de panneaux photovoltaïques à plusieurs mètres de hauteur au-dessus des cultures. Ils sont orientés Est-Ouest et tournent toute la journée pour suivre le soleil. C’est le système qui a été installé à la ferme de Sylvain Raison, à Amance, à 30 km au nord de Vesoul (Haute-Saône), par l’entreprise niçoise TSE. Il aura fallu à cette dernière deux ans de recherche et seulement quelque mois pour établir la structure suspendue à des câbles à 5 m du sol. Celle-ci produit 2,4 mégawatts-crête (MWc), soit l’équivalent de la consommation des 600 habitants du village d’Amance. La canopée bénéficie de 5 500 panneaux, sur 3 ha. Et tous les engins agricoles peuvent circuler dessous. La largeur entre poteaux est de 27 m, avec une emprise au sol très réduite, de 1 % seulement.

Un premier test a été effectué avec du soja, avec Alliance BFC. Les six variétés se sont comportées de la même façon dans la parcelle test et dans celle témoin. « La photosynthèse était supérieure dans la zone sous les panneaux, en raison du niveau de stress hydrique et thermique inférieur », se réjouit Mathieu Debonnet, le président de TSE. Cet été, les essais concerneront la production de maïs, culture fortement pénalisée par la sécheresse l’an dernier.

Des contraintes pour les engins agricoles

Question conduite des cultures et passage des matériels, il faut avouer que la présence des panneaux solaires ne facilite pas les choses. À Amance, la canopée installée semble plutôt adaptée. « C’est le seul système au monde ayant une portée si importante qu’elle permette le passage de tous les engins agricoles », claironne Mathieu Debonnet. Avec ce type d’installation, la plupart des engins doivent pouvoir passer dessous, exception faite peut-être de certaines ensileuses et moissonneuses-batteuses. Et les piliers sont certes très espacés, mais pas assez, parfois, pour les pulvérisateurs de plus de 27 m de largeur de travail.

À la ferme de Bel-air, en Côte-d’Or, les machines ne passent pas sous les panneaux mais entre les rangées. Jean-Philippe Delacre a dû s’adapter : les 12 m de largeur entre ces « haies » sont un peu justes pour la coupe de 11,3 m de sa moissonneuse-batteuse. Il emprunte donc celle du voisin, dont la coupe fait tout de même 9 m. Et puis sur ces 4,5 ha, il n’a pas d’autre choix que de tout conduire en bio, car naturellement, traiter avec le pulvé entre ces rangées de panneaux photovoltaïques s’avère impossible. Autre limite : les engins roulent toujours au même endroit, ce qui risque de tasser le sol.

À Channay (Côte-d’Or), Jean-Philippe Delacre utilise une moissonneuse de 9 m de largeur de coupe afin de passer entre les « haies », espacées de 12 m. Des bandes enherbées de 2 m de large ont été implantées au pied des rangées de panneaux. ( © Jean-Philippe Delacre )

« L’agrivoltaïsme doit rester un projet agricole, au service des cultures. Il doit donc s’adapter aux contraintes de l’exploitation, à la taille des engins, par exemple, et pas l’inverse », met en garde Antoine Nogier, président de la toute jeune fédération France agrivoltaïsme, qui se donne pour objectif d’organiser la filière et d’éviter les éventuelles dérives. Pas question, non plus, de pénaliser les cultures. « Les gestionnaires doivent accepter des densités de panneaux réduites, le taux de couverture sur une parcelle ne doit pas dépasser 30 % pour conserver le niveau de rendement actuel », insiste Christian Dupraz. Avec TSE, si l’agriculteur cesse de cultiver sous les panneaux, aucune indemnité ne lui sera versée par l’énergéticien. C’est acté dans le contrat.

Quelle forme de rémunération ?

Le revenu généré par la vente de l’électricité appartient au producteur : TotalEnergies, TSE, GLHD ou autre… Le propriétaire de la parcelle perçoit environ 40 % du loyer, l’exploitant agricole 60 %. Soit environ 1 500, voire 2 000 € par hectare et par an. Le chiffre varie néanmoins d’une région à l’autre. France agrivoltaïsme souhaite que les agriculteurs puissent aussi percevoir une partie des dividendes liés à la production d’électricité. « Il est important que l’agriculteur puisse être acteur de son projet, estime Antoine Nogier, le président de la fédération. La meilleure façon de l’intéresser, c’est de l’associer au capital ou de lui permettre de moderniser son exploitation par des contributions à l’achat de matériels. »

La rémunération sous forme de loyer n’est pas sans risques de dérives et Christian Dupraz, de l’Inrae, propose de la « limiter à la valeur du loyer agricole ». En effet, des sociétés parcourraient actuellement les campagnes françaises et signeraient des réserves foncières avec des agriculteurs à des loyers délirants pouvant atteindre 15 000 € par hectare et par an. Le syndicat Jeunes agriculteurs pointe le risque de spéculation foncière : « La stricte priorité doit demeurer l’installation d’agriculteurs et pas de panneaux solaires. » Point de vue partagé par France agrivoltaïsme.

Privilégier les projets de taille modeste

Autre sujet de débat : la taille des structures. Des firmes comme Green Lighthouse Développement (GLHD) défendent l’installation de projets de grande taille, plus rentables pour absorber les coûts liés au raccordement au réseau et plus lucratifs pour l’entreprise. Christian Dupraz défend l’inverse : « On peut faire 100 projets de 1 000 ha, je préfère que l’on fasse 100 000 projets d’un hectare pour que cela puisse profiter à plus de gens. » L’avis est partagé par France agrivoltaïsme. « Pour qu’il y ait une vraie redistribution, un vrai partage de la valeur, il est nécessaire qu’il y ait beaucoup de projets », abonde Antoine Nogier.

Les dispositifs de plus grande taille sont par ailleurs plus exposés à la contestation locale. À Curtil-Saint-Seine (Côte-d’Or), par exemple, Nicolas Simonet s’était lancé en compagnie de deux autres agriculteurs dans un projet de 65 ha avec TotalEnergies. Face à la contestation, les trois fermiers ont réduit à 42 ha. « Je le reconnais, le projet de départ était trop proche des habitations », indique-t-il. Nicolas espère déposer le permis de construire d’ici septembre pour envisager une mise en service d’ici deux ans au plus tôt.

Un cadre fixé par la loi

La loi d’accélération des énergies renouvelables votée en janvier à l’Assemblée nationale fixe un cadre pour éviter les dérives. Chaque projet devra passer par l’inspection d’une commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers ou d’une chambre d’agriculture, condition sine qua non de l’acceptabilité locale. La loi fixe aussi la primauté du projet agricole sur la production énergétique. En clair, produire de l’électricité, d’accord, mais à condition de ne pas sacrifier le rendement des cultures. Les décrets d’application restent à rédiger, ce sont eux qui, d’ici la fin de l’année, devraient fixer les seuils de maintien d’activité agricole significative et du revenu durable en étant issu. Ils définiront également la notion de service et devraient stipuler les conditions de contrôle et d’éventuelles sanctions.

Inscription à notre newsletter

Déja 5 réactions