Energies renouvelables
Quand houblon et photovoltaïque font alliance

« On n’a pas observé de différences de qualité ou de rendement entre le houblon sous les panneaux et les rangées témoins, les différences étaient plutôt entre variétés testées », explique Emmanuel Murail.
« On n’a pas observé de différences de qualité ou de rendement entre le houblon sous les panneaux et les rangées témoins, les différences étaient plutôt entre variétés testées », explique Emmanuel Murail. (©Antoine Humeau)

Ce ne sont que quelques panneaux perchés à sept mètres de hauteur, au beau milieu d’une vaste parcelle. Deux tables de 15 m2 chacune seulement à sept mètres de hauteur, mais de quoi attirer l’œil des automobilistes qui passent à proximité. Cette expérimentation agrivoltaïque est la première en France, dans une région où la culture du houblon est bien moins répandue qu’en Alsace.

Une production d’électricité qui soutienne la production agricole, voilà qui répond parfaitement aux objectifs que se fixe l’agrivoltaïsme. Ici, les armatures des panneaux servent de tuteurs à la plante pour pousser, ils remplacent les poteaux de bois habituellement plantés dans le sol. Astucieux, il fallait y penser. Et pourtant, ce n’était pas gagné d’avance.

D’un projet de parc au sol à une expérimentation sur houblonnière

Lorsqu’un développeur contacte Emmanuel Murail en 2019, c’est dans l’objectif d’installer des panneaux photovoltaïques au sol, car cette parcelle de Luçon (Vendée), toute proche d’un poste de raccordement électrique, est alors classée « à urbaniser ». L’année suivante, elle repasse en zone A (agricole). C’est l’occasion de lancer un vrai projet, plus vertueux. Voilà déjà plusieurs années que le céréalier, observant l’essor des brasseries artisanales, songe à se diversifier et produire du houblon (« je voulais changer de ma routine blé – maïs – tournesol »). Pourquoi ne pas faire en même temps du photovoltaïque ? Emmanuel Murail suit une courte formation à la culture de cette plante en Alsace, et fin 2021, l’énergéticien, Q Energy, installe ses panneaux. Deux tables de panneaux de 15 mètres chaque surplombant quatre rangées de houblon de 18 mètres. Deux autres rangées hors des panneaux servent de témoin. Le projet est expérimental, les panneaux ne sont pas raccordés.

Le houblon est une plante pérenne, un rhizome peut durer une trentaine d’années, elle reste donc en place sur la même parcelle d’une année à l’autre. L’agrivoltaïsme avec ce type de culture peut sembler plus simple que sur des parcelles de blé. Les lianes de houblon se développent et s’accrochent à des fils de coco fixés en haut des panneaux, sur des barbelés.

Les essais sont encadrés par la chambre d’agriculture. Objectif : observer le comportement de la plante sur six variétés différentes : qualité des cônes, rendement, hauteur des lianes, date de redémarrage des plants, date de floraison, vitesse de pousse des lianes, teneur en chlorophylle, surface foliaire et suivi des bioagresseurs.

Les lianes de houblon s’accrochent à des fils de coco fixés en haut des structures à des barbelés. ( © Antoine Humeau)

Pas de baisse de rendement ni de qualité

Les essais ont été conduits l’an dernier et cette année, les résultats seront divulgués l’hiver prochain, mais ils s’annoncent plutôt encourageants. Le houblon est une plante qui sait pousser dans les sous-bois, « globalement les systèmes d’accroche fonctionnent bien, on n’a pas souffert de l’ombrage », observe Delphine Molenat, de la chambre d’agriculture de Vendée. Pas de différence notable de rendement entre les plantes sous les panneaux et la parcelle témoin. « Les différences de comportement étaient plutôt au niveau des variétés », rapporte Emmanuel Murail. Des sondes capacitives permettaient aussi de mesurer la consommation d’eau sous et hors des panneaux, et les résultats sont encourageants : les ombrières photovoltaïques ont permis de réduire l’évapotranspiration et donc de diminuer d’environ 30 % la consommation d’eau.

Seule réserve, ces essais ont été conduits sur deux années seulement, juste après la plantation de la houblonnière, or « le houblon est une plante qui comme la vigne ne donne son plein potentiel qu’au bout de quelques années », rappelle Delphine Molenat. Les résultats de ces essais ne peuvent donner qu’une tendance.

L’expérimentation a aussi permis de constater que l’ancrage de l’armature métallique entravait le passage d’engins, ce qui rendait plus délicate la gestion de l’enherbement. Le développeur travaille donc à la fabrication d’une structure plus adaptée. Car l’étape suivante sera le développement à grande échelle.

Vers un parc de 28 hectares

Le projet de Q Energy devrait se déployer sur pas moins de 28 hectares, pour une production de 25 MW crête, soit l’alimentation électrique d’environ 12 500 habitants. Coût total : 25 millions d’euros environ. C’est élevé, la hauteur des panneaux engendre un surcoût, mais « la parcelle est de grande taille et c’est à proximité d’un poste source, ce qui nous permet de faire quelques économies d’échelle », relativise Adèle Leprêtre, cheffe de projet solaire à Q energy. Le dossier est actuellement en instruction, et devrait passer à l’automne devant la Commission départementale de préservation des espaces naturels et forestiers (CDPENAF), l’instance chargée de donner son feu vert ou non au projet. L’agriculteur et le développeur sont tous deux optimistes, bien que le conseil départemental « ne soit pas convaincu par l’agrivoltaïsme », grince Adèle Leprêtre. Quant aux éventuelles réticences de voisins, la phase de concertation ne semble pas avoir provoqué de vives protestations. Les nuisances visuelles de ce projet sur 28 hectares ne sont pas anodines, « il y a un impact paysager dont on a bien conscience, des haies seront mises en place », prévient Adèle Leprêtre. L’installation du parc agrivoltaïque ne devrait pas se faire avant 2026.

Pour l’agriculteur, par ailleurs propriétaire d’une partie des terres, la rémunération se fera sous forme de loyer versé par Q Energy. Il devrait s’élever entre 1 500 et 4 000 euros par hectare et par an, une fourchette que Q Energy laisse volontairement large. Emmanuel Murail devrait aussi prendre 5 % des parts dans la société qui exploitera le parc photovoltaïque. Les premiers dividendes ne devraient pas tomber avant l’amortissement, après une vingtaine d’années environ.

Si Q energy investit autant, c’est aussi qu’elle croit fermement au développement de l’agrivoltaïsme sur le houblon. Un nouveau modèle qui pourrait bien se déployer massivement.

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