Huit mois après l'annonce par les juges d'instruction parisiens du pôle de santé publique de la fin des investigations dans cette affaire, le ministère public a estimé qu'il n'y avait lieu de poursuivre quiconque dans cette affaire, a appris l'AFP de source proche du dossier, une information confirmée par le parquet de Paris.
Il appartient désormais aux juges d'instruction de rendre leur décision finale dans ce dossier très sensible en Guadeloupe et en Martinique, où plus de 90 % de la population adulte est contaminée par le chlordécone, selon l'Agence nationale de santé publique.
« Nous avons déjà affûté nos armes », prévient Harry Durimel, avocat, rédacteur de la plainte initiale contre l'empoisonnement au chlordécone et maire écologiste de Pointe-à-Pitre dans l'attente de l'ordonnance des juges d'instruction.
« La population doit savoir que dans ce combat pour lequel nous nous sommes engagés il y a 20 ans, nous n'avons jamais baissé les bras », a-t-il ajouté.
Me Christophe Leguevaques, qui défend deux parties civiles dans le dossier, a averti sur Twitter qu'il ferait appel si les juges décidaient un non-lieu et pourrait même aller devant la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). « Un crime concernant plus d'un million de personnes peut-il rester impuni? », a-t-il écrit.
Interdit en France en 1990, ce pesticide a continué à être autorisé dans les champs de bananes de Martinique et de Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu'en 1993. Il a provoqué une pollution importante et durable des deux îles et est soupçonné d'avoir provoqué une vague de cancers.
Cancer
En 2006, plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéenne avaient déposé plainte pour empoisonnement, mise en danger de la vie d'autrui et administration de substance nuisible. Une information judiciaire avait été ouverte au tribunal judiciaire de Paris en 2008.
« Une décision de non-lieu, loin d'être un déni de justice, constitue une décision judiciaire à part entière après examen et analyse de l'ensemble des éléments de la procédure concernée », souligne le parquet dans son réquisitoire définitif, consulté par l'AFP.
« Elle n'est pas non plus l'affirmation qu'aucun résultat dommageable n'a été entraîné par l'usage du chlordécone durant la période de son autorisation et ultérieurement », ajoute-t-il.
Mais le ministère public considère que les faits sont prescrits, s'agissant notamment de l'empoisonnement, ou non caractérisés, concernant l'administration de substances nuisibles, ce qui empêche toute poursuite.
Pour le parquet, les plaintes procédaient d'un « besoin d'information sur l'ensemble des éléments ayant présidé à la réglementation du chlordécone », auquel les magistrats ont tenté de répondre « de la manière la plus exhaustive possible ».
Déjà en 2021, les juges d'instruction avaient fait part à plusieurs parties civiles de leur analyse selon laquelle les faits seraient dans leur grande majorité prescrits.
L'annonce de la fin des investigations sans aucune mise en cause avait déjà soulevé un tollé fin mars. « La tournure que prend cette scandaleuse affaire est préoccupante car on s'achemine vers un déni de justice », avaient ainsi dénoncé les avocats de l'association Pour une écologie Urbaine.
La possible prescription de l'action publique a par ailleurs déjà suscité indignation et colère aux Antilles, notamment en Martinique où 5 000 à 15 000 personnes avaient défilé dans les rues de Fort-de-France fin février 2021.
Les populations antillaises présentent en particulier un taux d'incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.
Ces cancers de la prostate liés à l'exposition au chlordécone ont été reconnus comme maladie professionnelle en décembre, ouvrant la voie à l'indemnisation d'exploitants et ouvriers agricoles.