Pour les agriculteurs français, l’adhésion de l’Ukraine à l’UE reste un casse-tête

Quelles seraient les conséquences, sur la production agricole, d’une entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne ? Sur le marché du sucre, l’Europe à 27 était à l’équilibre avant 2021. « Avec la guerre, 400 000 tonnes sont rentrées, puis 500 000 tonnes l’année d’après », explique Timothé Masson, directeur du service Economie de la CGB, invité à une table-ronde organisée par Agridées le 26 novembre. « On est dans une filière de commodités qui illustre la problématique prix », poursuit-il. Les betteraviers français, qui travaillent sur des exploitations familiales, ont parfois des coûts de production dix fois plus élevés que leurs homologues ukrainiens, dont les structures et les moyens de productions diffèrent. « Les deux modèles ne peuvent pas coexister économiquement sur un même marché », estime Timothé Masson.

Des normes de structures similaires

Le constat est similaire pour la filière maïs, explique Franck Laborde, président de l’AGPM. « En Ukraine, le coût de production est de 97 €/t, quand nous, c’est au-delà de 200-230 €/t », développe-t-il, mettant en avant la différence dans les moyens de traitement utilisés. « 62 % des produits phytosanitaires utilisés en Ukraine pour le maïs sont interdits en France ». Et la problématique est la même pour les semences : « une dose sortie usine en Ukraine coûte 50 % d’une dose sortie usine en France », indique le président de l’AGPM, rappelant avoir déjà dénoncé une concurrence déloyale lorsque l’UE a accordé, en 2020, une équivalence aux semences ukrainiennes pour leur permettre d’entrer sur le marché européen.

Suffirait-il, alors, d’imposer à l’Ukraine les mêmes normes de production qu’au sein de l’UE ? Pour Yann Nédelec, directeur d’Anvol (interprofession volaille de chair), il n’y a « pas d’inquiétude à ce que les grands groupes se mettent à ce type de normes ». En revanche, la concurrence reste déloyale, estime-t-il, puisqu’en Ukraine, on peut trouver dans certaines zones de productions 700 poulaillers sur 15 m2, pour 40 millions de poulets. « C’est deux à trois fois plus que ce qu’il nous faudrait pour reconquérir la consommation chez nous », souligne Yann Nédelec.

« Ce qu’on estime important, en cas d’adhésion, ce n’est pas seulement l’équivalence des normes sanitaires, ils pourront de toute façon y arriver, mais des normes structurelles similaires », abonde Timothé Masson.

Yann Nédélec Timothé Masson et Franck Laborde le 26 septembre lors d'une table-ronde organisée par le think tank Agridées.
Yann Nédélec, Timothé Masson et Franck Laborde le 26 septembre, lors d'une table-ronde organisée par le think tank Agridées. (© Terre-net Média)

Une faible protection de la Pac et de l’UE

La Pac pourrait également fixer un cadre pour protéger davantage les agriculteurs français, par exemple avec une progressivité des aides, mais Timothé Masson n’y croit pas. Le but de la Pac, c’est de faire de l’agriculture bon marché, avec des agriculteurs qui vivent bien… Une Pac à deux vitesses, cela voudrait dire qu’on laisse le marché, le volume à l’Ukraine, et nous on récolte du sparadrap pour continuer à vivre dans un modèle à bout de souffle, qui n’est pas économiquement rentable… Ce n’est pas ce vers quoi le monde agricole veut aller, et on perdrait toute légitimité vis-à-vis de la société civile », explique-t-il.

Pour Franck Laborde, actuellement, « l’Union européenne ne cesse de durcir les règles pour ses producteurs », limitant les moyens de production, en matière de phytosanitaires, d’accès à l’eau, ou aux NGT. « Le progrès génétique existe sur la plante maïs, mais ne peut pas s’exprimer dans les conditions où nous produisons en France », déplore-t-il. Quand, en Ukraine, le rendement moyen était de 30 quintaux il y a 25 ans, il est aujourd’hui de 70 quintaux. En France, il était de 90 qx dans les années 2000, il est à 88 cette année, indique le président de l’AGPM.

« Se doter d’une ambition »

L’AGPM, qui a mené une étude prospective comparant différents scénarios, estime qu’après la guerre, l’Ukraine serait en capacité d’augmenter encore sa production de maïs grain, au détriment de la production française « si cette intégration se faisait sans corriger les distorsions qui existent », explique Franck Laborde. Pour lui, une adhésion sereine de l’Ukraine ne pourra se faire sans « une vraie initiative de politique agricole », avec une ambition, des marchés ciblés, « une partie de notre production destinée au grand export ». « Si nous libérons la capacité à produire en Europe, alors les producteurs français auront une autre vision de la potentielle arrivée de nouveaux membres. Le chemin est possible, mais lié à l’ambition que nous allons nous donner », résume-t-il.

Le sujet s’avère complexe, car « il faut aussi se poser la question de la non-adhésion, avec un pays concurrent hors de nos frontières européennes », précise Bernard Valluis, co-rédacteur d’une note d’Agridées sur l’élargissement de l’UE à 35 Etats-membres.

« L’élargissement, c’est la stabilisation, l’extension d’un espace de paix et de solidarité », rappelle aussi Olga Trofimtseva, ancienne ministre de l’agriculture ukrainienne. « J’ai vu que l’Ukraine pouvait être un vrai casse-tête pour l’Union européenne et les agriculteurs français. Mais les calculs montrent que l’Ukraine fait plutôt partie de la solution que du problème », explique-t-elle, évoquant une moindre dépendance à l’importation et un renforcement de la sécurité alimentaire européenne.

Inscription à notre newsletter

COACHING

Coaching

Avec Charlie, mon coach agri, approfondissez vos connaissances, pilotez votre exploitation et optimisez vos décisions

MATÉRIELS D'OCCASIONS

Terre-net Occasions

Plusieurs milliers d'annonces de matériels agricoles d'occasion

OFFRES D'EMPLOIS

Jobagri

Trouvez un emploi, recrutez, formez vous : retrouvez toutes les offres de la filière agricole

Réagir à cet article