Quels sont les effets du tassement sur les rendements des cultures ?

Vincent Tomis chef de projet chez Agro-Transfert
Vincent Tomis, chef de projet chez Agro-Transfert et ici devant un mini-profil 3D : « Faire passer les engins les plus lourds toujours sur les mêmes lignes pendant les chantiers de récolte est une idée pleine de bon sens et assez facile à mettre en œuvre. C’est un gros levier. » (©Agro-transfert)

On a beau prendre le problème par tous les sens, il y a peu de chance que les sols soient bien ressuyés en profondeur à la sortie de l’hiver, dans les Hauts-de-France, après la très forte pluviométrie de ces dernières semaines. Or intervenir sur un sol humide en profondeur accroît le risque de tassement profond. Et il se trouve que les cultures de printemps, à cycle court, sont généralement très sensibles à la compaction. Agro-Transfert a conduit des essais pour évaluer les pertes de rendements liées au tassement. Les résultats sont sans doute loin d’être complets, mais laissent apparaître qu’aucune espèce ne peut être totalement épargnée.

Le blé est moins affecté, puisque la culture s’enracine en sortie d’hiver en conditions humides. Aucune perte de rendement n’a été constatée sur près de la moitié des sites de test. Sur les autres, les rendements avaient diminué de 5 à 25 % dans les zones tassées des parcelles.

Baisse du rendement et de la qualité

Les baisses les plus importantes concernent la pomme de terre. Là, la quasi-totalité des sites étaient affectés, avec des pertes allant de 5 à 30 %. Le système racinaire de la culture étant moins puissant, il est vite affecté par le tassement. En outre, les tubercules sont implantés au mois d’avril, au moment où le sol se dessèche et s’avère donc plus difficile à pénétrer. « C’est là que l’irrigation permet de gommer en partie les effets du tassement, observe Vincent Tomis, chef de projet chez Agro-Transfert. En irriguant précocement, au moment où le front racinaire arrive au niveau de la zone tassée, dans les zones où il y avait du tassement un peu profond (35 à 40 cm), on favorise l’enracinement. Sans pour autant corriger totalement les effets du tassement. »

Autre effet de la compaction : une baisse de la qualité de la production. Dans les zones tassées de certains sites, vingt fois plus de pommes de terre difformes ont été comptabilisées. Le rendement commercialisable chutait ainsi de 7 à 15 %, soit une perte représentant entre 800 et 1 800 €/ha. L’impact des tassements sur le rendement des cultures varie cependant en fonction du climat de l’année. Les résultats observés « ne peuvent pas être généralisés dans tous les contextes pédoclimatiques », pondère Agro-Transfert.

En maïs, les baisses étaient là aussi assez significatives : 70 % des sites étaient affectés, avec des pertes comparables à celles observées en pomme de terre, entre 5 et 30 %. « Le maïs est une culture assez sensible au tassement du fait de sa vigueur racinaire», explique Vincent Tomis. « Si on implante le maïs sur un sol tassé avec une période sèche, l’effet peut être important », abonde Olivier Ancelin, agro-pédologue à la chambre d’agriculture de la Somme. Sur le pois et le lin, des cultures sensibles et donc à risque, « le tassement peut avoir des conséquences très dépréciatives, avertit-il, mais c’est beaucoup moins documenté ». Les pertes de rendement pourraient s’établir à - 20 %, voire - 40 % par exemple sur les pois de printemps. Quant au lin, il a beaucoup de mal à coloniser les zones tassées du fait de la morphologie et de la taille de ses racines. « Si l’enracinement est superficiel, les conséquences au niveau du rendement peuvent être néfastes », indique l’agro-pédologue.

Différences selon les types de sols et le climat

La tendance générale, lors d’années humides, est surtout à des tassements sur les 25-30 premiers centimètres. Ils sont préjudiciables à cause de l’engorgement d’eau à leur niveau. Les années plutôt sèches, en revanche, on observe surtout des tassements profonds, limitant l’enracinement à cause du manque d’eau en profondeur.

Les types de sols exercent aussi une influence. À humidité équivalente, il y a en théorie peu de différence de tassement entre eux. Ce qui change, c’est leur vitesse de ressuyage. «Prenons une parcelle sableuse et une argileuse. Si l’on intervient deux jours après de fortes pluies, la deuxième sera beaucoup plus sensible au tassement étant donné qu’elle aura gardé beaucoup plus d’humidité, explique Vincent Domis. En revanche, le sol argileux va ensuite se régénérer beaucoup plus rapidement que le sol sableux, parce que l’argile a la capacité de gonfler et de se rétracter sous l’effet du climat. »

Agro-Transfert cherche aujourd’hui à mesurer les conséquences à long terme après une culture de betteraves sucrières. Leurs conditions de récolte peuvent en effet avoir des effets catastrophiques sur les cultures suivantes. «On observe des impacts jusqu’a trois ans après le tassement, sur des cultures sensibles», rapport Vincent Tomis. Agro-Transfert a étudié le rendement sur des pois implantés deux ans après la production de betteraves. Dans une parcelle, les betteraves avaient été arrachées en septembre dans de bonnes conditions. Dans une autre, la récolte avait été faite en décembre en conditions humides. Entre la première et la seconde, le rendement des pois variait de 46 à 42 q. Soit une différence de 8 %. Le pois est une culture sensible. Pour faire ses nodosités, il requiert de l’oxygène. Sur le blé en revanche, on n’observe pas de baisses de rendements.

Ne pas hésiter à décompacter

Parmi les pistes pour éviter ces chutes de productivité : permettre au sol de se régénérer. Il s’agit « d’espacer dans le temps le gros du travail du sol, notamment en profondeur, et les chantiers contraignants, notamment en conditions humides, propose Bertrand Deloste, chef de projet chez Agro-Transfert. On constate que plus le travail est intense et proche dans le temps, plus le sol sera sensible à la contrainte qui suivra ». Un pseudo-labour ou un déchaumage à 20 cm sur la semelle de labour peut avoir un effet intéressant sur la vitesse de régénération du terrain. « On a constaté que l’on pouvait gagner six à huit mois de régénération par rapport à un itinéraire où l’on avait laissé les cultures intermédiaires faire le travail », rapporte Olivier Ancelin.

Installé à Rubempré, dans la Somme, Richard Vilbert utilise un fissurateur. Il y a cinq ans, il a connu un tassement très sévère sur une partie de ses terres, qu’il avait mises à disposition pour produire des carottes. Les engins de récolte, intervenus en conditions très humides, avaient défoncé les parcelles. Les deux années suivantes, ses blés et orges ont subi une chute de rendement«de 20 à 30 %». Les sols étant des limons battants, ils se tassent naturellement et ne se restructurent pas sous l’effet du gel ou de la sécheresse.

Le fissurateur constitue donc un appui. «Je prends le pénétromètre, je regarde si à 20 ou 25 cm il y a une semelle de labour, et si c’est le cas, je passe l’outil », témoigne l’agriculteur picard. Avant de semer les colzas, la fissuration est systématique.«Ce sont des racines pivot, explique-t-il, et j’ai des outils adaptés, le fissurateur et le semoir ont tous deux un écartement de 50 cm, et sont équipés de GPS. »

« Il faut savoir détecter à quel moment une intervention mécanique s’avère nécessaire pour que le système reste vertueux et qu’il n’aille pas vers une accumulation de tassement », commente Olivier Ancelin. «Le décompactage doit rester une opération ponctuelle», prévient Pascale Métais, ingénieure spécialisée sur la fertilité physique du sol chez Arvalis. Avant d’intervenir, il faut réaliser un « test bêche », préconise-t-elle. Cela consiste à creuser un trou et observer la bêchée de sol pour détecter l’éventuelle présence de fissures verticales naturelles et analyser l’état interne des mottes. Si, en cassant la motte, on observe une rupture franche et nette avec des arêtes droites et peu de porosité, c’est que le sol est tassé. On peut alors sortir le décompacteur. Si, en revanche, la motte est grumeleuse avec beaucoup d’aspérités, la terre pourra être facilement traversée par les racines et stocker l’eau.

Richard Vilbert ne s’appuie pas que sur son fissurateur. Ses solutions pour éviter que les rendements ne fléchissent sont avant tout agronomiques : il laboure le moins profond possible et couvre son sol, les racines des couverts végétaux permettant en effet de décompacter. « L’idéal, c’est de semer du blé avec du trèfle permanent, le sol est ferme et structuré, les racines du trèfle le maintiennent», développe-t-il. «Plus le sol est riche en matière organique, moins il sera sensible au tassement, confirme Pascale Métais. S’il y a les éléments nutritifs à disposition de la plante, on verra beaucoup moins l’impact du tassement. Mais c’est un levier beaucoup plus long à mettre en œuvre. »

Localisation du trafic pour les chantiers lourds

Une autre piste qui semble faire son chemin consiste à passer toujours au même endroit avec les engins agricoles à chaque étape du travail dans les champs. La méthode est connue sous le nom de controlled traffic farming (CTF). Elle est répandue en Australie et aux États-Unis, mais peine à se développer en France. Elle nécessite, il est vrai, d’adapter tout son matériel, dont les largeurs doivent être des multiples les unes des autres.

S’inspirer du CTF en faisant passer les engins les plus lourds toujours sur les mêmes lignes pendant la récolte s’avère toutefois possible. C’est une idée pleine de bon sens et assez facile à mettre en œuvre, à en croire Vincent Tomis : «C’est hyper intéressant, c’est un gros levier et pourtant, presque personne ne l’emploie.»Il s’agit de faire en sorte que le matériel de débardage (transbordeurs à grains, bennes) ne passe plus n’importe où dans la parcelle et n’emprunte que les passages du pulvérisateur. «Les agriculteurs n’y pensent pas, n’ont pas conscience de l’intérêt. Souvent, il faut se dépêcher, alors on ne prend pas le temps de se recaler sur le passage de pulvé, on va au plus court pour aller vers le silo de betteraves ou la sortie du champ, constate Vincent Tomis. Et pourtant, la perte de temps est largement compensée par le gain économique lié au tassement évité.»

Raisonner la circulation des engins pour réduire l’impact peut aussi passer par l’ajout de silos lors des chantiers de récolte de betteraves. Cela permet notamment de ne pas remplir la trémie de l’arracheuse pour éviter de rouler à pleine charge, tout en limitant la distance à parcourir lorsqu’elle est pleine et donc en minimisant la surface impactée. Une benne en complément de l’arracheuse intégrale permet de réduire ses déplacements. La benne circule selon des trajets bien définis et limite les zones tassées. Certains betteraviers envisagent également de redimensionner leurs parcelles, l’idée étant de calculer leur taille de sorte que la remorque soit à peu près pleine en arrivant au bout.

Un OAD pour anticiper

L’Institut technique de la betterave (ITB) met au point un OAD (outil d’aide à la décision), Previbest, qui devrait être disponible d’ici la fin de l’année pour les premiers utilisateurs. Son objectif : accompagner l’agriculteur afin qu’il limite les risques de tassement. Celui-ci saisit le type de machine, se localise et indique le type de sol, les données de la parcelle et, en fonction des conditions météo et de l’humidité du sol, l’outil lui propose un diagnostic : prévision du tassement, surface tassée, conséquences agronomiques et temps de régénération. « Si le risque de tassement en profondeur est important, le logiciel formule des préconisations : ne pas activer la marche en crabe de l’intégrale, ajouter des silos, optimiser la circulation, reporter l’arrachage en fonction des conditions météo… », prévient Thomas Leborgne, chargé de mission agroéquipement à l’ITB. Mais « c’est délicat, ce sont des conseils qui ne sont pas toujours facilement applicables, admet le technicien. On sait bien qu’avec la récolte de betteraves, les contraintes sont importantes, en particulier à cause du calendrier des sucreries et du planning tendu des ETA. Ce que l’on veut, c’est davantage éveiller les consciences sur certaines pratiques ! »

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