L’achat de matériel agricole neuf est en berne. Le Syndicat national des entreprises de service et distribution du machinisme agricole (Sedima) constate, depuis l’an dernier, cette tendance qui s’est confirmée au premier semestre 2024, notamment sur les marchés de la viticulture et des grandes cultures. Les conditions climatiques et le prix des matériels agricoles en seraient les principales raisons. Pour cette fin d’année, le Sedima prévoit la poursuite de ce ralentissement et observe que les stocks continuent de peser sur les résultats des distributeurs de matériels.
En contrepartie, un regain d’activité est enregistré dans les magasins et les ateliers. Le chiffre d’affaires devrait progresser de 7 à 8 % pour les pièces détachées, et de 8 à 10 % pour les prestations à l’atelier. « C’est la première fois que je vois les courbes de l’achat de matériel neuf qui s’effondrent comme ça, par contre, la pièce reprend vraiment, confirme Alexandre Richard, céréalier dans l’Indre et fondateur de la boutique en ligne Prodealcenter. Les gens se disent "on n’a plus le choix, si on veut continuer, on va réparer notre matériel au lieu de le changer". On vend des déchaumeurs, et c’est aussi la première fois que je vois des gens qui nous demandent juste les rouleaux ou les dents. Pour refaire leur machine. La trésorerie, c’est dur, dur, dur... »
Installé en région à dominante élevage, à L’Isle-Jourdain (86), Bastien Ferry, co-gérant de la SAS Souchaud, vente et réparation de matériel agricole et motoculture, relève également cette réduction des investissements en machines neuves, même s’il se dit épargné par ce contexte difficile qui concerne davantage les grandes cultures. « Aujourd’hui, on va passer plus de temps à chercher de la pièce détachée parce qu’on va chercher un prix. On ne va pas forcément privilégier de l’origine, on va surtout essayer de réparer », remarque-t-il.
« On n’a pas senti trop de différences sur la diversité des pièces achetées. Plutôt au niveau du questionnement des clients pour savoir s’ils doivent changer les pièces ou pas. S’ils peuvent attendre l’an prochain ou non. On voit qu’ils réfléchissent beaucoup plus qu’avant », constate de son côté Giovanni Petit, directeur d’Agrishop (site internet Agricolors spécialisé depuis 2015 dans la vente de pièces agricoles neuves).
Aux petits soins du matériel
Comme le dit l’adage, mieux vaut prévenir que guérir. Quel qu’en soit le coût, l’inspection régulière du matériel agricole, son entretien et sa remise en état restent les meilleurs moyens de repousser de lourds investissements, tout en optimisant son efficacité et sa performance. « Au niveau de l’entretien courant, il faut être rigoureux, souligne Bastien Ferry. Je le vois bien, les agris qui n’ont pas de surprise en saison, ce sont ceux qui font réviser. Ça paraît tout bête une faucheuse, mais une faucheuse ça se révise quand même. Ceux qui y pensent, et qui s’en occupent l’hiver, ont beaucoup moins de dépenses. La réparation en saison coûte plus cher. »
À Neuvic, en Corrèze, le lycée des Métiers de la maintenance des matériels Marcel-Barbanceys forme chaque année une quarantaine de jeunes, futurs professionnels en machinisme agricole (CAP, bac pro et BTS). Les élèves conseillent aux agriculteurs de consacrer chaque matin une demi-heure au graissage, au soufflage, à la vérification des serrages et des niveaux, sans oublier de regarder les garde-boue avant, les marchepieds, les roues, etc. Au moins en période d’utilisation intensive des engins. « En entretenant leur matériel, ils ne vont pas gagner de l’argent, mais ils vont moins en perdre », résume l’un d’eux. « C’est un moyen d’éviter des pannes bêtes », ajoute un autre.
Travail de pro ou impro ?
La progression du marché de la pièce détachée révèle aussi que bon nombre d’agriculteurs cherchent à aller au-delà de l’entretien en s’improvisant mécano. Forts de leurs expériences de terrain, les étudiants de BTS en apprentissage en voient toutefois les limites. « Ça arrive que des personnes essayent de démonter la boîte de vitesses, raconte un élève. Au final, ça ne nous avance pas forcément. » Un autre se souvient d’un moteur amené en vrac à l’atelier...
Dans la même veine, Gabin Drilhole, responsable SAV chez Jean Seby & Fils SAS (Pyrénées-Atlantiques), concessionnaire Case IH, témoigne : « J’ai un client qui a vidangé l’hydraulique de son tracteur pour économiser quelques heures de main-d’œuvre. Il a voulu s’y aventurer avec son fils. Pour faire couler l’hydraulique, il y a un robinet à fermer. Il l’a fermé, ensuite, il a défait le bouchon, fait couler son huile, changé les filtres, rempli à nouveau, fermé le bouchon, et il est parti. Le problème, c’est qu’il n’a pas rouvert le robinet situé juste avant la pompe. Du coup, elle a aspiré à vide, elle n’a pas été lubrifiée. Résultat, on a dû changer toutes les pompes hydrauliques du circuit, pour un coût de 8 000 €, au lieu des 200 € que lui aurait coûté la main-d’œuvre de cette vidange. Et ça, malheureusement, ce n’est pas couvert par les assurances. »

« Si je fais une moyenne de ce qui entre dans l’atelier, détaille Bastien Ferry, le panier coût/réparation est autour de 1 000 €. Quand on fait une réparation à 10 000 €, on est déjà sur une très grosse réparation. À l’opposé, on peut faire des interventions à 50 €. L’agriculteur pourrait le faire, mais s’il n’a pas de notion ou d’expérience en mécanique, eh bien ça peut lui coûter le double. Une réparation à 50 €, ça peut être d’extraire une vis cassée dans une pièce en fonte. Il faut du matériel spécifique. S’il essaye de le faire lui-même, il va peut-être casser sa pièce, ça va lui coûter le prix de la neuve, alors que ça lui aurait coûté 50 € de passer chez nous. »
Sur ses deux ateliers de Pau et Orin, Gabin Drilhole enregistre quelque 3 000 interventions par an. « Il est assez rare, malheureusement, qu’on en ait à moins de 1 000 € », précise-t-il. Pour éviter ces dépenses, il suggère aux agriculteurs de consacrer – dans l’intervalle des vidanges – un peu de temps à la vérification de leurs machines (graissages, niveaux d’huile…), afin de bien anticiper les problèmes, sans attendre que ça clignote au tableau de bord ou d’être immobilisé au milieu du champ.
Les constructeurs contre-attaquent
Face à l’offre de pièces d’occasion et adaptables, les constructeurs cherchent la parade. John Deere propose ses « Alternatives » avec la promesse d’un prix compétitif, d’un processus de certification et d’une parfaite adaptation aux machines ne subissant pas un usage intensif. Chez Claas, on avance la « Silver Line », destinée aux engins de récolte et tracteurs de plus de 10 ans. « Une gamme de pièces qui restent de très bonne qualité, souligne Steven Coroller, mais avec un cahier des charges moins strict permettant de les obtenir à un tarif compétitif tout en ayant la qualité attendue, puisque ça reste des pièces validées par nos ingénieurs, pour des conditions d’utilisation moins extrêmes. »
Comme autre piste d’économie proposée par le constructeur allemand, il évoque les offres « Repair » et « Reman » : « dans le cadre du programme Reman, on expédie tout de suite une pièce remanufacturée, en moyenne 20 à 30 % de moins qu’une neuve, à la réception de la pièce défectueuse. Ce n’est pas la pièce du client, mais une pièce qu’on a déjà en stock qui a fait l’objet d’un reconditionnement. Le Repair, c’est la pièce du client que l’on répare. Il y a un délai d’attente, mais c’est moins onéreux parce qu’il n’y a pas de gestion de stock. C’est 45 à 50 % moins cher que la pièce neuve. C’est pertinent sur des pièces électroniques ou hydrauliques. »
« Silver line est une gamme de pièces de très bonne qualité, mais avec un cahier des charges moins strict permettant de les obtenir à un tarif compétitif tout en ayant la qualité attendue » - Steven Coroller
Concessionnaire ou artisan ?
Autre possibilité, enfin, pour ceux qui cherchent à réduire la facture d’entretien des machines : faire travailler les mécaniciens indépendants. « Nous disposons d’un atelier où l’on fait de l’entretien et de la réparation, indique Romain Paudoie, de la Sarl Paudoie Machines agricoles. On a même une valise pour diagnostiquer les pannes sur des tracteurs plus récents. Passer par des artisans mécaniciens comme nous, ça permet de faire des économies en raison d’un coût horaire moins élevé et de pièces neuves, en général, moins chères qu’en concession. » Il poursuit en expliquant passer par un groupement d’achat, la Société coopérative des artisans mécaniciens agricoles, qui permet aux petits ateliers d’avoir des prix plus intéressants sur le matériel et les pièces.

« Oui, le concessionnaire sera globalement plus cher que d’autres, tempère Gabin Drilhole, mais ça nous arrive bien souvent de repasser derrière des petits garages. Ils sont certes moins chers que nous, mais avec une expertise différente. Des travaux basiques comme une vidange motrice, n’importe qui peut les faire. Dans le cas des vidanges hydrauliques, ce qui est important, c’est de recalibrer toute la transmission du tracteur. Quand on change l’huile, on change sa viscosité. Si on veut que le tracteur réagisse bien et reste souple, c’est vraiment nécessaire de le recalibrer et pour ça, on est obligé de passer par le professionnel qui a les outils dédiés et la maîtrise. »