Cela fait un an que Stéphane Freulon a des capteurs NIRS sur sa moissonneuse-batteuse. Chez John Deere, le boîtier s’appelle « HarvestLab ». Cet agriculteur de Gené (Erdre-en-Anjou, Maine-et-Loire) l’utilisait déjà sur l’ensileuse de la Cuma. Pratique pour connaître en temps réel le taux de matière sèche. Durant la récolte de céréales, cela lui servira peut-être à ajuster sa fertilisation, mais pour l’instant, « c’est encore un peu tôt ». Cet éleveur de taurillons et de poules pondeuses, installé sur 390 ha, dispose aussi d’une entreprise de travaux agricoles, ce qui lui permet d’optimiser les machines. Sa moissonneuse tourne chaque année sur 400 à 500 ha de céréales.
Ils ne sont encore qu’une poignée, en France, à avoir comme lui un HarvestLab sur leur moissonneuse-batteuse. Huit exactement ont activé la licence sur l’ensemble de l’Hexagone. Ce n’est pas tout à fait un hasard si cette technologie peine à s’imposer sur les batteuses, alors qu’elle commence à se répandre sur les tonnes à lisier et en moindre mesure sur les ensileuses. D’ailleurs, John Deere et New Holland sont les seuls à proposer des capteurs NIRS sur leurs moissonneuses, Claas traîne pour le moment des pieds.
Analyse en continu
Le NIRS, pour near-infrared spectroscopy (« spectroscopie proche infrarouge »), est un dispositif qui utilise une onde du spectre électromagnétique proche de l’infrarouge. Les capteurs NIRS envoient une lumière invisible vers les grains et mesurent, par réflectance, la manière dont ils l’absorbent. En fonction de cette absorption, le système estime des paramètres comme l’humidité, la teneur en protéines, en huile ou en amidon. Alors que le grain est envoyé vers la trémie pendant la moisson, très régulièrement (à intervalles de vingt secondes à deux minutes), un échantillon d’un à trois kilos est prélevé directement dans le convoyeur pour être analysé.
Chez New Holland, le capteur, baptisé « NutriSense », est positionné sur la vis de récupération de grain du fond de caisson, avant qu’il ne monte dans l’élévateur vers la trémie. Sur les moissonneuses John Deere, le capteur se trouve au niveau de l’élévateur à grain. Avant que les céréales n’entrent dans la trémie, elles passent directement devant lui au moyen d’une vis d’alimentation motorisée. L’analyse se fait en continu.
Fiabilité et précision
Écartons immédiatement les craintes liées à la fiabilité. Malgré la chaleur, les vibrations, le soleil et le milieu très poussiéreux, la technologie fonctionne avec précision. « Ce sont des appareils robustes, dans lesquels on a réduit au maximum les parties mobiles, ce qui leur permet de résister au moindre choc », remarque Vincent Baeten, ingénieur au Centre wallon de recherches agronomiques. Reste qu’une mesure en continu est potentiellement moins fiable qu’une mesure fixe, tempère Stéphane Chapuis, expert agroéquipement à la Fédération nationale des Cuma.
« Le seul moyen de connaître la fiabilité serait de faire en même temps des mesures fixes sur des échantillons réguliers pour comparer », indique-t-il. « Pour les critères vraiment chimiques liés à la qualité de la graine, comme la teneur en eau, la protéine ou l’amidon, les capteurs embarqués fonctionnent très bien, en revanche si vous cherchez des critères de détection de maladies, de toxines, ce sera plus difficile », complète Norbert Fumat, ingénieur R&D infrarouge à l’institut de recherche Arvalis.

Deux usages principaux de ce laboratoire embarqué sont mis en avant par les constructeurs. Le premier est de permettre d’alloter, stocker son blé dans des silos différents selon qu’il est de qualité meunerie ou élevage. Et ainsi de mieux le valoriser. « Connaître très rapidement la valeur de sa récolte, ce n’est pas inintéressant, juge Jérôme Soulié, responsable expérimentations chez RAGT, il n’y a pas besoin d’attendre que le grain soit livré au silo. Le céréalier, qui a un blé dur avec un fort taux de protéines, pourra le mettre dans une cellule particulière et si dans le champ suivant, son taux de protéines est plus faible, il le mettra à part. Sur un tournesol, connaître la teneur en huile, cela permet de mieux le valoriser si celle-ci est haute. »
New Holland a fait son calcul et prétend que sur 400 ha de blé, on peut gagner 32 000 € si, au lieu de tout écouler en fourrager, la moitié (12 % de protéines) est valorisée en panifiable (à 200 €/t), et l’autre (10 % de protéines) en fourrager (à 180 €/t). Tout cela reste théorique et sur la base de rendements à 72 q. Cela peut aussi être l’occasion d’établir des classes de poids spécifique (PS). « Le critère le plus fondamental des acheteurs, c’est l’homogénéité du grain, met en avant Nicolas Thibaud, expert récolte indépendant. Ne parlez pas de grain germé, cassé ou mitadiné, l’acheteur veut que cela lui plaise au niveau de la couleur homogène du grain, et plus votre PS est élevé, plus votre échantillon sera homogène. »
Mais pour alloter, évidemment, il faut disposer de silos de stockage sur l’exploitation. Dans la ferme de Stéphane Freulon, ce n’est pas le cas, il vend tout son blé à sa coopérative, Terrena. Son HarvestLab pourrait lui permettre « une meilleure documentation de la récolte » ou de « comparer les variétés et valider leurs paramètres machine », comme le propose John Deere.
Cartographier pour ajuster la fertilisation
L’autre intérêt du capteur NIRS – peut-être plus important – est agronomique. Il permet en effet d’ajuster sa fertilisation. Le capteur étant couplé au GPS de la machine, l’agriculteur peut cartographier le niveau de qualité dans la parcelle, avoir une vue d’ensemble des zones ayant converti les nutriments efficacement, et donc connaître leur potentiel. « Il y a un lien entre l’azote exporté du sol et la protéine », détaille Aurélien Pichard, chef de produit moissonneuses-batteuses chez New Holland.
« À partir du rendement de la récolte et du taux de protéines, on peut déterminer la quantité d’azote exportée du sol, on est donc capable ensuite de piloter un apport d’azote sur l’année suivante. » Cela intéresse particulièrement Nicolas Thibaud : « Je trouve cela génial, parce que cela permet de savoir jusqu’où ont été valorisés les apports d’azote. On a une réponse qui peut être parfaitement claire en ce qui concerne ces derniers et la réponse en protéine. Cela va au-delà du rendement. »
Dans sa ferme du Maine-et-Loire, Stéphane Freulon voit aussi cela d’un bon œil. Avec sa coopérative, il a fait une carte de résistivité de ses sols pour connaître les potentiels de rendement. Son HarvestLab lui donne maintenant des cartes de protéines, humidité et rendement. « Il faudrait que je suive la carte de préconisation pour appliquer mon engrais, explique-t-il. L’objectif, c’est de déplafonner sur les zones à fort potentiel et éviter de mettre de l’engrais là où ça ne sert à rien. » Mais des données collectées sur une seule récolte, ce n’est pas suffisant, ce n’est pas représentatif. « Sur cinq ou six ans, cela peut commencer à être intéressant », conclut l’agriculteur.
Pour les grandes exploitations céréalières
Reste à savoir à quel profil s’adresse le capteur NIRS sur moissonneuses-batteuses. Cette technologie cible principalement « les entrepreneurs de travaux agricoles qui veulent apporter une valeur ajoutée à leurs clients finaux ou les agriculteurs souhaitant alloter leurs récoltes pour mieux les commercialiser », indique Aurélien Pichard. Des grandes exploitations céréalières ayant des débouchés spécifiques, donc. « Elles ne sont pas nombreuses ! », glisse Stéphane Chapuis. Cela pourrait aussi intéresser les éleveurs porcins fafeurs qui produisent et stockent leurs céréales. Des Gaec géants de 600 ha de céréales avec atelier de 10 000 porcs en engraissement, par exemple.