Capteurs NIRS : investissement rentable ou gadget inutile ?

Capteur Nutrisens New holland
Selon Jérôme Soulié, responsable expérimentation chez RAGT, « difficile de rendre la technologie rentable en grandes cultures, du moins pas avant d'avoir récolté un paquet d'hectares ! » (©New Holland)

Si la technologie proche infrarouge embarquée sur les moissonneuses-batteuses a du mal à s’imposer, c’est parce qu’en France, « ce n’est pas l’agriculteur qui décide, même quand il a 2 000 ha de blé, analyse Nicolas Thibaud, expert récolte indépendant, c’est le courtier ou la coopérative. Or, la coop du coin n’a jamais exigé cette remontée de terrain de la qualité du grain. En France, on aime bien alloter ponctuellement, mais on est encore sur les mélanges dans les filières ».

Quant aux ETA, elles ne semblent pas particulièrement intéressées pour l’instant, si l’on en croit Guillaume Le Gonidec, technicien responsable des questions agricoles à la Fédération des entreprises des territoires (FNEDT). « Au niveau des ensileuses, une quinzaine d’entreprises s’étaient équipées et facturaient seulement 5 €/ha en plus pour fournir la cartographie, histoire de lancer le service. Mais au bout de cinq ans, il n’y en avait plus que cinq, parce que cela n’intéressait pas les clients », rapporte-t-il. Commentaire un brin désabusé d’un entrepreneur de travaux agricoles : « C’est de l’investissement un peu à perte, pour le valoriser, c’est très compliqué. »

Un gadget ?

De là à considérer le capteur NIRS comme un gadget, il n’y a qu’un pas. La technologie semble aller plus vite que la capacité des agriculteurs à valoriser les données. L’Observatoire des usages de l’agriculture numérique a par exemple constaté, en 2020, que 80 % des utilisateurs de capteurs de rendement ne l’utilisaient pas ou en avaient un usage très basique, et que moins de 5 % étaient équipés d’outils d’interprétation de ses données.

« La modulation, beaucoup en parlent, mais du côté des pro, des vrais, seuls quelques clients se lancent », constate Pascal Pelaud, de chez John Deere. « On peut mettre plein de choses sur les batteuses, on reste sur des applications saisonnières, donc on s’en sert très peu dans l’année et en plus, quand on y va, on n’a pas trop le temps, reconnaît de son côté Aurélien Pichard, chef produit moissonneuse-batteuse chez New Holland.

Il faut qu’il y ait un réel intérêt du client final sur ce truc, avoir une volonté de faire ses carto ou de mieux valoriser son blé en hiver. » Pour sa part, Nicolas Thibaud observe : « Si je regarde le positionnement commercial de cet outil-là, c’est un gadget, alors qu’en réalité, il offre des possibilités techniques énormes pour connaître ses lots ou le potentiel de sa parcelle. En fait, cela sert plus à la notoriété du constructeur et du concessionnaire que cela n’aide l’agriculteur à produire du blé. Et puis les agriculteurs qui livrent à leur coop savent que la valeur commerciale de leur grain sera jugée sur un échantillon en silo, donc ils ne voient pas l’intérêt de mesurer eux-mêmes la qualité. »

Capteur de rendement sur moissonneuse-batteuse
L’Observatoire des usages de l’agriculture numérique a constaté, en 2020, que 80 % des utilisateurs de capteurs de rendement ne l’utilisaient pas ou en avaient un usage très basique (© DR)

Ce n’est sans doute pas un hasard si Claas ne s’est pas précipité. Son capteur NIRS ne devrait pas sortir avant 2026 ou 2027, en option sur les moissonneuses Trion et Lexion. En attendant, la firme allemande propose d’en installer à la carte avec l’équipementier italien Dinamica Generale. Mais pour l’instant, elle n’en a posé qu’un seul ! « Sur l’ensileuse, le capteur est un gros avantage, sur la moissonneuse, ce n’est qu’un plus, estime Bertrand Neuville, chef de produit chez Claas. Je ne serai vraiment convaincu que quand on aura un produit sorti de nos usines, et ce sera pertinent quand ce sera interchangeable d’une machine à l’autre. »

Un capteur qui passe d’une machine à l’autre, c’est ce que proposent déjà John Deere et New Holland, et c’est d’ailleurs l’un de leurs arguments de vente… à condition que la version soit la bonne, car il arrive, chez John Deere par exemple, qu’un boîtier utilisé sur une ensileuse depuis plusieurs années ne soit pas compatible avec une moissonneuse-batteuse récente pourtant de la même marque. En tout cas, l’idée est d’optimiser l’outil pour le rentabiliser plus facilement. Mais là encore, pas facile de trouver le client idéal, qui soit céréalier sur plusieurs centaines d’hectares avec des silos de stockage, tout en étant éleveur puisqu’il faut avoir du lisier à épandre et du maïs à ensiler.

Les agriculteurs veulent autre chose

« En grandes cultures, je ne vois pas trop comment rendre cela rentable, commente Jérôme Soulié, il va quand même falloir faire un paquet d’hectares pour amortir le dispositif, au moins 10 000 ! » À l’achat, le capteur NIRS coûte en effet entre 15 000 € et 30 000 €, soit 10 % de la moissonneuse-batteuse. Un HarvestLab de chez John Deere, par exemple, revient à 20 000 € avec sa licence d’utilisation. Aucun constructeur ne se hasarde à avancer des chiffres concernant un éventuel retour sur investissement, et ce n’est pas anodin. « Cela dépend de trop nombreux paramètres », se défend Aurélien Pichard.

Sans doute les attentes des céréaliers sont-elles ailleurs. « Il y a tellement de choses plus utiles dans la moiss’batt’ que les capteurs NIRS, indique en souriant Nicolas Thibaud. Ce qui permet, par exemple, de maîtriser le grain cassé dans sa machine, c’est bien plus important pour l’agriculteur, parce qu’il peut perdre plusieurs quintaux au cul de sa batteuse. » Les constructeurs en sont bien conscients. « Les clients veulent une casse de grain minimale, confirme Aurélien Pichard. Ils veulent aussi toujours plus de productivité, et toujours plus d’automatisation, au niveau du guidage bien sûr, mais aussi des réglages (intensité de battage, vitesse de soufflerie, etc.) pour optimiser à la fois le débit et la qualité de la récolte. »

Des engins qui tendent à se régler tout seuls, voilà sur quoi préfère travailler Claas, qui met en avant son assistant à la conduite Cemos permettant à la moissonneuse-batteuse de se réguler en fonction de la culture qui rentre dans sa trémie. « Cela apporte à la fois du confort à l’utilisateur et une optimisation du potentiel de la machine », résume Bertrand Neuville avant d’ajouter, un brin perfide : « Nous ne lançons pas un produit en regardant ensuite si cela correspond à la demande. »

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